En Tunisie, la lente descente aux enfers d’Ennahda

April 26, 2023
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Des partisans d’Ennahda à l’arrivée de Rached Ghannouchi au poste de police de Tunis le 21 février 2023. FETHI BELAID / AFP

Rached Ghannouchi, le chef du parti d’inspiration islamiste Ennahda, a été auditionné, lundi 24 avril, par la brigade antiterroriste dans le cadre d’une des nombreuses plaintes dont il fait l’objet depuis plusieurs mois et pour lesquelles aucun mandat de dépôt n’a été émis, selon ses avocats. S’il est emprisonné depuis le 17 avril, c’est pour une tout autre affaire. Accusé de « complot contre la sûreté de l’Etat » pour des propos tenus lors d’une réunion publique, il encourt la peine capitale. Dès le lendemain de son arrestation, les locaux de son parti ont été fermés sur l’ensemble du territoire tunisien. L’offensive policière et judiciaire contre Ennahda met fin à une phase inédite d’intégration d’un parti se référant à l’islam dans le processus démocratique débuté après la révolution de 2011.

Ce n’est pas la première fois que Rached Ghannouchi se retrouve derrière les barreaux. Sous les régimes de Habib Bourguiba (1956-1987) et Zine el-Abidine Ben Ali (1987-2011), de nombreux militants du Mouvement de la tendance islamique – devenu plus tard Ennahda – avaient été emprisonnés, torturés, placés à l’isolement, empêchés de travailler ou de circuler librement. Ceux qui ont survécu sont devenus, à la faveur de la révolution, ministres, chefs de gouvernement, gouverneurs, maires ou députés.

La répression en cours en Tunisie contre les islamistes se distingue toutefois des précédentes. Car elle « s’emploie non pas à réprimer une idéologie ou un mouvement radical, mais à punir et à faire porter une responsabilité politique à des dirigeants qui ont exercé le pouvoir, souligne Hamza Meddeb, chercheur au cercle de réflexion Carnegie Middle East Center. Dans les années 1990, au contraire, la répression touchait aussi bien la base que les cadres. »

Gage de probité

Au lendemain de la chute de Ben Ali en 2011, Ennahda avait développé un discours identitaire religieux en opposition radicale avec l’ancien régime. La formation était arrivée largement en tête à l’élection de l’Assemblée nationale constituante, parvenant à convaincre 1,5 million d’électeurs du bien-fondé de son projet de société. Après des décennies de répression et de corruption, une majorité de la population voyait dans le référentiel musulman un gage de probité. En 2012 et 2013, dans un contexte de violences politiques et de montée de l’extrémisme religieux – dont ses adversaires lui imputent la responsabilité –, Ennahda s’était résolu à concéder des compromis idéologiques, qui avaient permis l’adoption de la Constitution de 2014. « En se perdant dans ses calculs », selon Hamza Meddeb, Ennahda a définitivement « mis un terme à son projet historique d’islamiser la société ».

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Source: Le Monde