Nord du Kosovo : ce qu’il faut savoir sur les tensions entre Serbes et Kosovars

May 30, 2023
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CONFLIT SANS FIN

Depuis plusieurs jours, le nord du Kosovo est en proie à des tensions entre Serbes et Kosovars, provoquées par l'élection de maires kosovars albanais dans des localités à majorité serbe. France 24 fait le point sur une crise régionale qui n’en finit pas.

Des soldats de l'Otan sécurisent une zone près de la mairie de Zvecan, le 30 mai 2023, dans le nord du Kosovo.

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Vers une escalade des tensions ? L’Otan a annoncé, mardi 30 mai, le déploiement de forces supplémentaires dans le nord du Kosovo, au lendemain de heurts avec des manifestants serbes ayant fait une trentaine de blessés parmi les membres de la Force internationale au Kosovo emmenée par l’Alliance atlantique (KFor).

"Le déploiement de forces supplémentaires de l'Otan au Kosovo est une mesure de prudence pour s'assurer que la KFor dispose des capacités dont elle a besoin pour maintenir la sécurité conformément au mandat qui nous a été confié par le Conseil de sécurité de l’ONU", a déclaré l'amiral Stuart B. Munsch dans un communiqué.

Si les tensions entre la Serbie et le Kosovo sont récurrentes depuis l’indépendance autoproclamée du Kosovo en 2008 – toujours non reconnue par Belgrade –, la menace d’une nouvelle guerre en Europe est réelle. France 24 fait le point sur les tensions en cours.

03:24 Kosovo : heurts dans le nord du pays © AFP

Que se passe-t-il dans le nord du Kosovo ?

Les Serbes majoritaires dans quatre villes du nord du Kosovo ont boycotté les élections municipales d'avril à l'appel de la Srpska lista, leur principal parti, très proche de Belgrade. En conséquence, des maires albanais ont été élus malgré une très faible participation de 3,5 %.

Ignorant les appels insistants de l'Union européenne et des États-Unis à la retenue, le gouvernement kosovar a intronisé ces édiles la semaine dernière, ce qui a mis le feu aux poudres.

Des protestataires serbes se sont alors rassemblés devant les mairies concernées pour exiger le départ des maires albanais et des forces de police kosovares, dont la présence dans la région suscite depuis longtemps leur colère.

Ces manifestants ont tenté de forcer la porte d'entrée de la mairie de Zvecan, mais ont été repoussés par les forces kosovares. La KFor a ensuite tenté de séparer les deux parties avant de commencer à disperser les manifestants les plus violents. Les protestataires ont alors répliqué en lançant des pierres, des bouteilles et des cocktails Molotov en direction des soldats.

Dix-neuf soldats hongrois et onze italiens ont été blessés dans ces heurts, a annoncé mardi la KFor dans un communiqué, précisant qu'ils souffraient notamment de "fractures et de brûlures causées par des engins explosifs incendiaires improvisés". "Trois soldats hongrois ont été blessés par des armes à feu", selon la même source.

Au moins 52 personnes ont été blessées dans les rangs des manifestants serbes, dont trois grièvement, a affirmé le président serbe Aleksandar Vucic.

Pourquoi les Serbes ont-ils boycotté ces élections municipales ?

Pristina a organisé ce scrutin pour combler le vide laissé par la démission massive des Serbes en novembre des institutions locales communes.

Des centaines de policiers serbes intégrés à la police kosovare, ainsi que des juges, procureurs et autres fonctionnaires, avaient quitté leurs postes pour protester contre une décision de Pristina, désormais suspendue, d'interdire aux Serbes vivant au Kosovo d'utiliser des plaques d'immatriculation délivrées par Belgrade.

"À chaque fois, c’est le même coup : le Kosovo multiplie les vexations à l’encontre des Serbes", juge Alexis Troude, professeur de géopolitique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et spécialiste des Balkans. "Pristina n’a jamais respecté les accords de 2013 et tente régulièrement d’asseoir son autorité sur le nord du Kosovo, provoquant des tensions avec la population serbe", ajoute le spécialiste.

Que représente la minorité serbe au Kosovo ?

La minorité serbe compte environ 120 000 personnes – sur 1,8 million d’habitants –, largement fidèles à Belgrade, dont un tiers résident dans le nord du Kosovo, près de la frontière avec la Serbie qui les soutient financièrement. Les autres membres de la minorité sont dispersés dans une dizaine d'enclaves.

Dans ces zones, le drapeau serbe flotte partout, les gens utilisent le dinar serbe. Toute intervention policière est source de tensions.

Un accord de 2013 prévoyant la création d'une association de dix "municipalités", dont font partie les quatre villes où a eu lieu le boycott des élections municipales et où vit la minorité serbe, est resté lettre morte. Belgrade et Pristina ne s'entendent pas sur leurs compétences. Nombre de Kosovars albanais craignent la création d'un gouvernement parallèle contrôlé par Belgrade.

"L’accord prévoyait une vraie autonomie pour ces municipalités, mais ça n’a jamais été appliqué. À chaque fois qu’il y a eu un début d’autonomie de la part des Serbes, les Albanais ont été intraitables en faisant appliquer leurs règles", explique Alexis Troude.

Une indépendance autoproclamée jamais acceptée par la Serbie

La bataille des maires touche en fait à la question de l'indépendance du Kosovo proclamée en 2008, près d'une décennie après une guerre qui a fait environ 13 000 morts, en majorité des Kosovars albanais.

Pour le Premier ministre kosovar Albin Kurti, la souveraineté est intangible et rien ne peut être discuté sans que la réalité de l'indépendance ne soit reconnue. Mais de nombreux Serbes considèrent le Kosovo comme leur berceau national et religieux, à l’image du tennisman serbe Novak Djokovic, qui a écrit lundi sur la caméra de France Télévisions, à l’issue de sa victoire au premier tour du tournoi de Roland-Garros, "Le Kosovo est le cœur de la Serbie, arrêtez les violences".

Le Kosovo est reconnu par une centaine de pays, dont la plupart des Occidentaux, et depuis peu par Israël. Belgrade n'a en revanche jamais admis l'indépendance, pas plus que la Russie et la Chine, ce qui prive Pristina d'une place à l'ONU. Cinq membres de l'Union européenne sont également sur cette ligne.

Le jeune État a cependant été admis au sein de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, du Comité international olympique, de la Fédération internationale de football et de l'Union des associations européennes de football.

Le Kosovo, un enjeu géopolitique ?

Bruxelles, qui dirige les négociations entre les parties depuis 2011, a annoncé en mars que les deux camps étaient parvenus à un accord visant à normaliser leurs relations. Mais le texte n'a été signé ni par Belgrade ni par Pristina.

L'Union européenne a appelé mardi Serbes comme Kosovars à "désamorcer les tensions immédiatement et sans condition". Paris a demandé aux "parties, en particulier le gouvernement du Kosovo, à prendre immédiatement les mesures qui s'imposent pour réduire les tensions".

De son côté, Moscou a appelé l'Occident à "enfin mettre fin à sa propagande mensongère et à arrêter de rejeter la responsabilité des incidents au Kosovo sur les Serbes poussés au désespoir qui cherchent de manière pacifique (...) à défendre leurs droits et libertés légitimes".

"Ces tensions vont finir un jour par déboucher sur une guerre en Europe, prévient Alexis Troude. Les grandes puissances actionnent les rivalités locales depuis 20 ans et jouent avec le feu. D’un côté, les États-Unis confortent l’autorité de Pristina, de l’autre, la Russie soutient Belgrade. L’Europe doit se réveiller pour éviter le pire."

Avec AFP et Reuters

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Source: FRANCE 24