Le meilleur de Depeche Mode en seize titres et quarante ans de romantisme électro-pop

May 31, 2023
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TOP MUSIQUE – Le légendaire groupe britannique est en tournée européenne et fait escale à Lyon ce mercredi 31 mai. L’occasion de rendre hommage à sa longue carrière en seize bougies synthétiques.

Martin Gore et Dave Gahan, désormais seuls aux commandes de Depeche Mode, après la mort de Andrew Fletcher en mai 2022. Photo Anton Corbinj

“Just Can’t Get Enough” (1981)

Une ligne de texte un peu niaiseuse répétée en boucle, trois notes de synthé montées sur ressort… Trente ans après l’avoir écoutée pour la dernière fois, on craque à nouveau pour cette petite ritournelle rudimentaire qui permit aux garçons de Basildon de conquérir l’Amérique. On préfère oublier qu’elle déchaîne aujourd’hui les supporters de foot dans les stades anglais et on se la boit comme un shot d’eighties new wave : cul sec, bien frappé sur le dancefloor de notre adolescence. — A.Be.

“Everything Counts” (1983)

Un tube mondialisé, comme l’économie le devient en ces années 1980 naissantes, où le capitalisme triomphe. Depeche Mode a piqué son nom à un magazine de fringues, mais leur troisième album, Construction Time Again, parle d’aliénation au travail, de chaînes de production, et la chanson, de « mains rapaces qui attrapent tout ce qu’elles peuvent ». Une flûte orientale répond à un xylophone africain soutenu par une ligne de basse autoritaire tandis que la boîte à rythmes entraîne la voix de Dave Gahan dans un fracas synth pop étourdissant. — O.d.P.

“Master and Servant” (1984)

« Il y a un nouveau jeu/Nous l’appelons maître et serviteur/Cela ressemble beaucoup à la vie. » Avec ses sons de synthé pareils à des bruits de fouet et de chaînes, s’agit-il d’un simple hymne sadomaso par un groupe jouant volontiers avec une imagerie queer ? Ou d’une chanson à sous-texte marxiste ? Comme un prolongement pop des théories chères à Engels et Marx ? Depeche Mode a souvent appelé de ses vœux à une révolution… Non sans humour ici : « Dans le lit ou dans la vie/C’est du pareil au même/Sauf que dans l’un, tu es satisfait à la fin de la journée. » — E.P.

“Shake the Disease” (1985)

À la fois un sommet et la fin d’une ère. En 1985, Shake the Disease, morceau inédit du premier best of du groupe, couronne en beauté cinq années de singles électro-pop. Le titre le plus fin de Depeche Mode, tant du point de vue mélodique que du texte, sur lequel le trop souvent balourd Gahan, grâce aux chœurs de ses trois compagnons, livre un chant inhabituellement sensible et modulé. Comme si le délicat Gore chantait à travers lui l’impossibilité d’un être timide, inhibé, à exprimer ses sentiments. Ce disease, cette maladie, dont on aimerait tant se débarrasser. — H.C.

“A Question of Time” (1986)

Rythmique industrielle mate et métallique. Dessus, un gimmick entêtant et la voix lointaine qui rappelle Peter Murphy (Bauhaus). Depeche Mode prouve ici sa capacité à transposer, aux synthétiseurs, ce que d’autres, en cette époque post-punk, faisaient avec des guitares. Le propos musical est presque martial même si, sur la chute, Martin Gore, avec un contre-chant au timbre tremblant, apporte un brin de douceur. Tourné dans le désert californien, le clip fut le premier réalisé par le photographe Anton Corbijn, début d’une longue collaboration. — F.Pé.

“A Question of Lust” (1986)

S’il fallait une preuve du talent de mélodiste de Martin Gore, cette ballade où il prend le micro pourrait être jugée irréfutable. Une ballade ? Plutôt une berceuse à en croire les paroles, qui reviennent avec insistance sur la position du bébé dans les bras de sa maman. Sacré Gore ! Alors même que, peroxydé et tout de cuir sanglé, il joue la carte SM à fond, le voilà qui demande à maman son lolo. Et froid comme un Briton, indéchiffrable comme la Sphinge. Alors, innocence ou perversion ? It’s a question of trust… — L.-J.N.

“The Things You Said” (1987)

C’est Martin Gore qui chante ici ses propres mots. A-t-il besoin d’exorciser cette forme de trahison intime si tristement banale : apprendre par des proches les horreurs que colporte sur vous un(e) ex ? Dans sa voix douce, presque caressante, entre plus de chagrin que de colère : « I heard it from my friends about the things you said/They know me better than that… » Bâti sur un ostinato d’une redoutable efficacité, le discours musical s’élargit et se densifie en même temps que le chanteur précise ses émotions. Caché dans l’album de la maturité, Music for the Masses, ce non-tube en demeure l’un des joyaux. — S.Bo.

“Never Let Me Down Again” (1987)

Un riff accrocheur à base de synthé et de piano avant que la voix grave de Dave Gahan chante une virée avec son meilleur pote. On y verrait bien une histoire d’amitié mais le refrain paraît sans équivoque et l’ami ressemble étrangement à une drogue : « Nous volons haut », « Pas envie de redescendre »… Effectivement, cette chanson, temps fort des concerts avec public bras levés façon danse des vers géants, nous fait planer. Surtout sur son final, climax avec montée emphatique de nappes de claviers et contre-chant de Martin Gore. — F.Pé.

“Personal Jesus” (1989)

Un an après l’apparition du mot « techno », un genre dans lequel les pionniers de Détroit ont souvent reconnu l’influence de… Depeche Mode, les Anglais font appel à François Kevorkian, producteur et mixeur à la pointe de l’électro (il a collaboré notamment avec Kraftwerk) dans un studio de Milan. Mais pourquoi chercher toujours à inventer la musique du futur ? À la composition et à l’écriture, Martin Gore a ce coup de génie de s’inspirer du blues le plus traditionnel avec une guitare imparable. Plus tard, cette chanson magnifique sera sublimée par Johnny Cash. — E.P.

“Policy of Truth” (1990)

Toute vérité n’est pas bonne à dire, mais c’est encore Dave Gahan qui le dit le mieux, avec sa voix grave et traînante, de plus en plus lointaine, comme s’il n’était déjà plus concerné par ses encombrantes confessions. La phrase titre à l’écho dystopique, pourtant, fait planer une menace, entretient le mystère. Dans les brumes synthétiques et sombres, dans l’épure puissamment lyrique de la mélodie, se joue le drame des amours abîmées et des vains regrets. Sans sophistication, mais avec une émouvante profondeur. — A.Be.

“Enjoy the Silence” (1990)

Combien d’interprétations possibles pour ce classique maintes fois repris (même par Carla Bruni), mais à l’insurpassable version originale ? Des songwriters vantant l’inutilité des mots, quel paradoxe ! Et quel clip étrange, avec son roi solitaire, trimbalant couronne et chaise longue à travers la nature… Adolescente, j’étais surtout séduite par le chant de Gahan et la rythmique accrocheuse, sans me préoccuper du sens des mots. Je suis plus touchée, aujourd’hui, par cette invite à fuir le bruit du monde, la surinformation et à cultiver plutôt ses émotions. La chanson, elle, n’a pas vieilli. — S.Bo.

“Breathe” (2001)

Quand Exciter sort en 2001, Depeche Mode est enfin sorti de l’enfer. Mark Bell, de LFO, phare du label Warp et producteur de Björk sur Homogenic, apporte sa touche d’électronicien du vivant à ce disque étonnamment apaisé. Breathe déploie son tapis de craquements, une guitare glisse et enlace la voix de Martin Gore qui s’y épanouit, tour à tour grave et suave. Il y est question de trahison, de mensonge, de rumeurs et de tromperie. Il raconte la fin de son couple, alors que sous nos yeux, son groupe renaît. — O.d.P.

“Dream On” (2001)

Dave Gahan susurre quelques mots tandis qu’une guitare blues folk ouvre les débats. Exciter dévoile un nouveau visage de Depeche Mode, plus léger et minimaliste. Mark Bell, qui a produit le Homogenic (1997) de Björk, souffle à Gahan quelques techniques de la chanteuse islandaise, pour en faire moins mais mieux, ou du moins autrement. À l’image de Dream On, le résultat ne sera pas forcément probant commercialement, mais le groupe continue d’avancer. — J.-B.R.

“Precious” (2005)

Sur Playing The Angel (2005), onzième album qui signe un retour du groupe au premier plan, Depeche Mode renoue, à l’image de ce Precious mélancolique, avec des mélodies célestes, porté une nouvelle fois par la grâce éternelle des claviers d’Andrew Fletcher. Dans ce titre phare, Dave Gahan déclara s’adresser à ses enfants, s’excusant du divorce d’avec leur mère et du désordre causé. Gravité, amour, mais aussi inspiration. L’équilibre est parfait. — J.-B.R.

“The Child Inside” (2013)

Une valse sombre, presque horrifique à la manière d’un conte gothique, déploration sur l’enfant meurtri qui se niche en nous, à la merci de tous les effrois et démembrements du réel. Et aussi dérive ophélique, cette obsession du romantisme anglais qui perdure dans le préraphaélisme et jusqu’à telle chanson de The Cure (The Drowning Man). Un temps, Depeche Mode fut rangé parmi les garçons coiffeurs. Gore, une fois encore chanteur, aurait été plus à sa place dans un cimetière en ruine, non loin de Hurlevent. — L.-J.N.

“Ghosts Again” (2023)

Il aura donc fallu trente-huit ans à Depeche Mode pour renouer avec la grâce de Shake the Disease. Entre-temps, le quatuor de Basildon sera devenu, conte toute attente, le U2 synthétique, un monstre des stades, avec son chanteur arborant tous les clichés de la panoplie rock. Mais la pandémie et la mort du discret Andrew Fletcher, élément stabilisateur, ciment de la formation, a permis à la fragilité de remonter à la surface, de mettre l’indus grand public en veilleuse. Avec l’émouvant Ghosts Again, Depeche Mode redevient humain, après tout. — H.C.

Source: Télérama.fr