Face à la contradiction, la macronie se raidit

June 01, 2023
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Concédons que ça ne fait jamais plaisir de se faire tancer en mondovision. Mais face à la vigueur des réactions macronistes après le discours de la palme d’or Justine Triet, samedi dernier, ne faut-il pas y voir une légère surréaction ? Lors de la cérémonie de clôture du festival de Cannes, la réalisatrice a critiqué le mépris et la répression envers la contestation de la réforme des retraites, et défendu l’exception culturelle française qu’elle considère menacée. Le sang de la ministre de la Culture n’a fait qu’un tour, « estomaquée par (ce) discours si injuste ». S’en est suivi une myriade de réactions toutes plus outrées les unes que les autres, jusqu’au symbole ultime : on attend toujours le tweet de félicitations du président de la République à Justine Triet.

La macronie aurait-elle un problème avec la contradiction ? Récemment, c’est la Ligue des droits de l’homme, et ses critiques sur le maintien de l’ordre, qui ont subi les foudres gouvernementales, jusqu’à menacer les subventions, comme pour le cinéma avec Justice Triet. Les manifestants et manifestantes de Sainte-Soline ont eux été rapidement traités « d’éco-terroristes », sans autre forme de procès, par Gérald Darmanin. Et actuellement, l’Assemblée débat de la loi de programmation militaire, enjeu énorme à 413 milliards d’euros d’ici à 2030. On a pu entendre plusieurs députés de la majorité s’étonner qu’il y ait tant de débats à l’Hémicycle. En vérité, on s’attend à ce qu’il y ait peu de votes contre, mais surtout beaucoup d’abstention : « Mais tout le monde devrait être pour ! », nous a-t-on répondu.

Ne plus tendre l’autre joue

La majorité y est aussi allée très fort contre Charles de Courson (Liot), rapporteur de la proposition de loi pour abroger la réforme des retraites. En commission, mercredi matin, les attaques ad hominem se sont multipliées contre ce membre centriste, respecté de l’Assemblée, décrit par les macronistes comme « radicalisé » depuis plusieurs semaines. « Il y a un durcissement de leur stratégie, je l’observe. Sur de Courson, sur Coquerel, on était dans des attaques perso. C’était d’une violence inouïe contre Justine Triet, la ministre serait grandie d’être magnanime », observe un stratège insoumis.

Chez Renaissance, on ne nie pas totalement : « Après avoir passé des mois difficiles sur la réforme des retraites, on est un certain nombre à se dire qu’il est temps d’arrêter de tendre l’autre joue. » Certains macronistes veulent « assumer d’être offensifs, assumer d’avoir des discours parfois durs, assumer d’être clivants ». Certes, jusque-là, dans l’Hémicycle, les troupes macronistes avaient une certaine tendance à faire le gros dos face aux coups des oppositions. Et ce malgré quelques coups d’éclat, notamment d’Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance. Un premier réveil avait eu lieu lors de la dernière motion de censure, avec un discours très offensif de la présidente du groupe, saluée par les siens et au gouvernement.

Le bien, l’ordre et la raison

En est-on, en macronie, à réduire le champ de ce qui est contestable dans le débat public ? La réponse apportée est « non ». Soyons honnêtes : on a peu d’exemples, en France, de pouvoirs très ouverts à la critique. En début de mandat, il y a toujours ce petit côté « on a gagné les élections, vous les avez perdues, vous êtes nuls ». Puis en fin de mandat, le pouvoir peut avoir l’impression d’être dans une citadelle assiégée, et donner des leçons à tout va. C’était le cas par exemple du ministre de l’Agriculture de François Hollande, Stéphane Le Foll, interrogé sur France Inter au lendemain de la défaite de son camp aux élections régionales de 2015. Il n’avait pas hésité à convoquer l’Irak et la Syrie pour expliquer à une chômeuse que, bon, finalement, la situation n’était pas si mauvaise ici.

Chaque camp à ses marottes. La gauche se vit comme le camp du bien, et qui ne veut pas le bien ? La droite comme le camp de l’ordre, et qui peut bien vouloir le désordre ? Depuis 2017, quelque chose de nouveau est né : la macronie, elle, se vit comme le camp de la raison. Le clivage n’est plus gauche/droite mais raisonnable/déraisonnable, et cela sans transition : « Aujourd’hui, les gens qui ne sont pas d’accord avec nous veulent renverser la table, c’est ça le nouveau clivage », expliquait sans ciller un député macroniste en vue la semaine dernière.

En conséquence, la majorité et l’exécutif font à chaque fois le choix, ces derniers temps, de dramatiser les enjeux. Même si ce n’était pas l’option de toutes et tous, y compris de responsables haut placés de la majorité. Sur la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites, c’est encore ce qui a été décidé : elle n’a aucune chance d’être définitivement adoptée, les macronistes le disent d’ailleurs haut et fort. Mais décision a été prise d’axer le discours sur l’éventuelle inconstitutionnalité du texte ; comme si le proposer revenait à mettre en danger les institutions. C’est aussi le choix de se mettre en danger à chaque fois. Jusque-là, ça gagne, le gouvernement a les institutions pour lui. Mais le jour où ça perd ?

Source: 20 Minutes