Au Nigeria, l’incroyable flambée du prix de l’essence
Chauffeurs de taxis et de motos attendent devant une station-service, le 30 mai 2023 à Ibafo, dans le sud-ouest du Nigeria. PIUS UTOMI EKPEI / AFP
Il aura suffi de quelques mots, prononcés lors du discours d’investiture du nouveau président Bola Ahmed Tinubu, à Abuja lundi 29 mai, pour enclencher un processus qui doit conduire très rapidement à la suppression officielle des subventions sur les importations d’essence, qui plombent l’économie nigériane depuis des lustres. « Les subventions n’existent plus », a déclaré le chef de l’Etat, s’éloignant un instant du script officiel distribué à la presse. Dès le lendemain, les Nigérians, inquiets, prenaient d’assaut les stations-service du pays, déclenchant une énième pénurie de carburant.
« J’ai compris que quelque chose avait changé en montant dans mon bus pour aller travailler, explique Precious, devant son stand de légumes du marché d’Obalende, à Lagos. Le chauffeur m’a demandé 300 nairas alors que normalement je ne paie que 100 nairas pour ce trajet. C’est là qu’on m’a dit que l’essence avait augmenté. » Le prix du carburant a quasiment triplé en seulement une journée, mercredi 31 mai.
Dans l’après-midi, la Compagnie pétrolière Nationale du Nigeria (NNPC) a publié un communiqué informant les consommateurs que « le prix de l’essence à la pompe dans [ses] stations-service avait été ajusté en ligne avec la réalité du marché ». Cela représente une augmentation allant jusqu’à 488 nairas le litre dans les stations de la NNPC, alors que celui-ci ne coûtait que 184 nairas quarante-huit heures plus tôt. Les stations-service privées se sont rapidement alignées, affichant bien souvent des prix encore plus élevés.
Choc considérable
Pour les Nigérians, qui considèrent l’accès au carburant bon marché comme l’un des rares privilèges qu’ils tirent de leur puissance pétrolière, le choc est considérable. D’autant que l’essence sert aussi à alimenter les générateurs pour s’éclairer, dans un pays au réseau électrique extrêmement défaillant. « J’ai envoyé ma fille chercher de l’essence pour notre générateur hier, je n’en ai pas cru mes yeux quand j’ai vu qu’elle ne m’avait ramené qu’un fond de jerricane ! » s’exclame Precious, ébahie. Dans la foulée, le prix des denrées alimentaires a brutalement grimpé sur le marché. « On savait que les subventions allaient disparaître, mais là c’est vraiment violent », se désole Aziz, qui gère des taxis sur un parking voisin. Le coût de la place dans une de ses voitures remplie à ras bord, a augmenté de 100 nairas depuis le début de la semaine. « On devrait doubler nos prix, mais c’est impossible, les gens n’auraient pas les moyens. Donc on perd de l’argent » explique le cinquantenaire.
Le changement est d’autant plus brutal que la communication autour de ce sujet est, pour l’heure, quasi inexistante. « Il n’y a pas beaucoup de transparence dans ce qui est en train de se passer, regrette Noelle Okwedy, analyste pour le cabinet Stears à Lagos. On savait que les subventions étaient inscrites dans le budget jusqu’à la fin du mois de juin, mais visiblement il y a eu une volonté d’agir plus rapidement. »
Le gouvernement nigérian avait adopté, dès août 2021, un « Petroleum Industry Act » organisant la dérégulation du marché et mettant fin – en principe – aux subventions. Mais l’administration de l’ex-président Muhammadu Buhari avait continué malgré tout à financer ces aides aux importations, qui ont coûté 10 milliards de dollars au Nigeria en 2022.
Un « signal politique fort »
Malgré leur poids délétère sur l’économie, personne n’imaginait que le nouveau chef de l’Etat s’en débarrasserait dès le premier jour de son mandat. « C’est un signal politique fort pour les investisseurs, admet Noelle Okwedy. Le président veut montrer son sérieux, sa volonté de réduire la dette et d’être plus efficace. » Le Nigeria était jusque-là forcé d’emprunter pour financer ces aides controversées, s’endettant dans des proportions de plus en plus insoutenables. « Le gouvernement est sous pression de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international depuis longtemps sur ce sujet, complète Mickaël Vogel, le directeur du cabinet de recherche Hawilti, à Lagos. On estime que près de la moitié du carburant subventionné importé au Nigeria fait l’objet de trafic dans les pays limitrophes. » Pour ce spécialiste du secteur, la suppression des subventions devrait non seulement profiter aux opérateurs privés de la filière pétrolière, mais aussi donner de l’élan à l’industrie gazière dans le plus grand marché d’Afrique.
« Sorti du choc initial pour la population qui fait déjà face à une inflation énorme, c’est une bonne nouvelle pour le Nigeria, assure un acteur de ce secteur au Nigeria, qui s’exprime sous le couvert de l’anonymat. Nous avons dépensé des sommes ridicules dans ces subventions alors qu’on aurait pu les investir dans les infrastructures, la santé, l’éducation ou l’industrialisation de l’économie. » Tout juste regrette-t-il que le gouvernement n’ait pas annoncé de mesures palliatives pour accompagner la population dans cette transition. « Mais il ne faut pas se leurrer non plus : à cause des pénuries à répétition ces derniers mois, le prix de l’essence avait déjà considérablement augmenté à travers tout le Nigeria. »
Dans les rues de Lagos, beaucoup se montrent résignés face à cette augmentation annoncée de longue date. « On va s’en sortir, comme d’habitude, dit Solomon, un tailleur d’Obalende. On a fait face au Covid-19, à la crise économique, aux pénuries d’essence et de cash [suite à une politique monétaire controversée de la banque centrale en début d’année]. Il n’y a plus qu’à espérer que tout ça débouche enfin sur quelque chose de positif pour l’avenir de notre pays. »
Source: Le Monde