A Mayotte, les promesses en trompe-l’œil des " décasages "

April 27, 2023
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ReportageLe gouvernement a promis la destruction de 1 000 maisons en tôle en deux mois, mais les opérations se heurtent à l’absence de solutions de relogement adaptées.

A Grande Comore, Zainaba Abdou ne vivait pas dans une maison en tôle. Mais, employée dans un petit restaurant, elle arrivait péniblement à réunir 50 euros par mois. Alors en 2016, à l’âge de 21 ans, elle a rejoint Mayotte et la commune de Chirongui, au sud de l’île de Grande-Terre. Là-bas, elle a pu multiplier par quatre son salaire comme femme de ménage chez des particuliers. Mais dans ce 101e département français où 40 % des habitations sont « indignes », elle a aussi rejoint une maison en tôle.

Zainaba Abdou a été expulsée de son habitat en taule de Mramadoudou, situé sur la commune de Chirongui, en 2021. Elle montre l’endroit où se situait sa maison avant sa destruction. A Mayotte, le 26 avril 2023. MORGAN FACHE POUR « LE MONDE »

Aujourd’hui, le bidonville du quartier de Mramadoudou, où elle vivait, a été rasé et recouvert par des plantations de manioc. Fin novembre 2021, Zainaba, son fils et la nièce qu’elle élève – aujourd’hui âgés de 6 et 4 ans – ont été expulsés, comme tous les autres occupants, au cours d’un des « décasages » dont l’Etat revendique aujourd’hui la montée en puissance. Dans le cadre de l’opération « Wuambushu », le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé que « 1 000 bangas [maisons de tôle] » seraient détruits « dans les deux mois », contre près de 500 sur toute l’année 2022 et 1 650 en 2021.

Une promesse qui suscite l’inquiétude des habitants de ces bidonvilles ainsi que des nombreuses associations qui les défendent. Leur crainte : que des solutions de relogement adaptées ne suivent pas. Le 27 février, le tribunal administratif de Mayotte a d’ailleurs suspendu la destruction des maisons de vingt familles du bidonville de Talus 2, dans la commune de Koungou, faute d’offres concrètes – ce qui a ensuite amené le tribunal judiciaire à suspendre l’opération dans sa globalité la veille de son lancement, le 25 avril. Jeudi 27 avril, une nouvelle requête, portée par dix-neuf autres familles de Talus 2 – des Comoriens et des Français –, devait être examinée par le tribunal administratif de Mayotte.

Ces procédures pointent du doigt les limites de la politique de lutte contre l’habitat insalubre à Mayotte. Fin 2021, Zainaba Abdou s’était vue proposer un relogement pour six mois, à Kangani, à une quarantaine de kilomètres de chez elle, au nord de Grande-Terre. « Je n’avais pas d’autre choix [que d’accepter], dit-elle. Je ne peux pas finir à la rue. »

Le bidonville de Talus 2, sur la commune de Koungou, à Mayotte, le 26 avril 2023. MORGAN FACHE POUR « LE MONDE »

Les difficultés sont vite apparues. Dans un département où il manque 850 établissements d’enseignement primaire, il n’y avait pas de place à l’école de Kangani pour le fils de Zainaba. Pour ne pas le déscolariser, elle s’est mise à faire des allers-retours entre Chirongui et Kangani. « Je venais la semaine et je dormais à droite, à gauche. Parfois, je confiais mon fils à un ami et le vendredi, je le récupérais. Mais le trajet me coûtait 16 euros par semaine. » Et, en dehors d’une aide alimentaire mensuelle de 75 euros, la jeune femme, qui avait perdu son emploi de femme de ménage, ne percevait plus de ressources.

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Source: Le Monde