Au Cameroun anglophone, les groupes armés indépendantistes changent de stratégie
Analyse
Ayant subi des revers au plan militaire, affaiblis et divisés, les « Ambaboys » ont basculé vers de nouveaux modes d’action faits de rackets, d’enlèvements avec demande de rançons, mais aussi d'attentats. Quitte à mettre en jeu leur légitimité auprès des populations.
Des femmes passent au bord d'un marché abandonné à Buea, dans la province majoritairement anglophone du Sud-Ouest, le 3 octobre 2018, à côté de l'épave d'une voiture brûlée prétendument par des combattants séparatistes lors d'une récente attaque.
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Assiste-t-on à une reconfiguration, dans la durée, des modes d’action des groupes armés séparatistes, dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, au Cameroun ? Un événement récent est venu mettre sur la table cette interrogation.
Le 19 mai 2023, dans la localité de Kedjom Keku, non loin de Bamenda, la capitale de la région du Nord-Ouest, trente femmes organisent, selon des sources officielles, une marche pacifique, pour protester contre les actes de groupes armés indépendantistes, qui imposent aux populations le paiement de « taxes » à leur profit.
Le lendemain, les manifestantes sont enlevées par des éléments desdits groupes, avant d’être libérées, quatre jours plus tard. Selon les autorités locales, les trente femmes auraient été torturées durant leur détention. Cette information ne fait pas l’unanimité. Selon un analyste avisé des questions sécuritaires dans la zone, interrogé par RFI, « les femmes n’ont pas été violentées parce que certainement, il y a eu échange. C’est de ça que vivent désormais ces groupes, ou plus exactement ces gangsters qui utilisent la guerre comme étant une économie désormais, après que les groupes [armés] ont été déstructurés et démantelés par les forces conventionnelles. »
« Ils ont été considérablement affaiblis par des conflits internes entre diverses factions. Ils n’opèrent quasiment plus dans les centres urbains, où ils conservent néanmoins des membres, et se sont repliés dans les zones rurales. C’est là qu’ils harcèlent les populations, procèdent à des enlèvements, et extorquent de l’argent », observe Yerima Kini Nsom, rédacteur-en-chef de The Post, bihebdomadaire de langue anglaise respecté, qui suit de près la crise en zone anglophone depuis le déclenchement de sa phase actuelle fin 2016.
« Un basculement vers le terrorisme pur »
« Depuis quelque temps, on note une forme de basculement dans le terrorisme pur, avec la multiplication des attentats à la bombe, comme on l’a vu à Buea, dans le Sud-Ouest, à l’occasion de la compétition de l’ascension du Mont Cameroun au mois de février dernier. La tendance est aussi au recours à des engins explosifs de manière indiscriminée, dans une volonté de faire peur et de faire mal. On observe la multiplication des actes de braquages, de racket des populations, des enlèvements assortis de demandes de rançon, des attaques contre les établissements de microfinance ou des particuliers à mettre sur le compte de groupes plus ou moins affiliés à la tendance indépendantiste. Ce qui traduit au moins une chose : la relative baisse de létalité des autres modes d’actions. », révèle l’historien et prospectiviste Raoul Sumo Tayo, à la Faculté des Sciences sociales de l’université de Louvain, et chercheur au Centre d’études et de recherche en paix, sécurité et intégration de l’Université de Maroua (Cameroun).
Selon des experts, les groupes indépendantistes ont subi d’importants revers de la part des « forces conventionnelles ». D’où leur affaiblissement progressif sur le terrain et leur orientation vers une économie criminelle. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette perte de vitesse des « Ambaboys », autre appellation des groupes armés engagés dans la bataille pour la création d’une république - fictive - dite de « l’Ambazonie ».
« D’une part, explique une source bien informée, il y a eu des efforts du côté de certains pays très influents, qui ont décidé de couper les chaînes d’approvisionnement jusque-là établies dans lesdits pays, ce qui a porté un coup dur aux Ambaboys. D’autre part, les performances des forces de défense peuvent être attribuées à la nomination, à la tête du commandement des régions en crise, d’un fin connaisseur du combat asymétrique. Dès lors, les actions des groupes armées sont de moins en moins perceptibles au niveau des grandes agglomérations, ce qui suppose quand même qu’il y a une maîtrise du terrain. »
Une légitimité en question
Pour affaiblis qu’ils soient, les « Ambaboys » continuent aussi de harceler les forces de sécurité. « On voit bien que ces groupes, ou ceux qui s’en réclament, perpètrent des attaques contre des postes de gendarmerie ou de police ou sur la voie publique, tendent des embuscades contre les forces de défense et les autorités, s’attaquent à leurs convois. La particularité de ces actions réside dans l’utilisation de mines et d'engins explosifs improvisés. On ne saurait oublier la persistance des "villes mortes" imposées dans certaines localités », explique Raoul Sumo Tayo.
Jusqu’où iront les « Ambaboys » dans leurs nouvelles logiques d’action ? Des spécialistes redoutent qu’à force de rackets et d’enlèvements couplés à des demandes de rançons, les groupes armés séparatistes perdent en légitimité et se coupent progressivement des populations qui semblent fatiguées de cette guerre, et qui pourraient le manifester bruyamment si l’armée camerounaise tirer profit de ce rapport de force entre elle et les insurgés.
« C’est là qu’il faudrait envisager toutes les possibilités politiques, soit renforcer les décisions qui ont été prises jusqu’alors, soit les faire évoluer parce que la solution pérenne à cette crise est politique », tranche l'expert des questions sécuritaires.
Du 30 septembre au 4 octobre 2019, sur convocation du président Paul Biya, un « grand dialogue national », réunissant des figures politiques du pays, des experts de divers domaines et les autorités, s’est tenu à Yaoundé, dans le but proclamé de « trouver des solutions à la crise anglophone ». Marqueur, parmi d’autres, d’une volonté politique de donner suite à cette grand-messe politique : la promulgation, le 24 décembre de la même année, d'un Code général des collectivités territoriales décentralisées, considéré comme un instrument de renforcement de la décentralisation. Depuis, l’application de ce texte, par la création d’institutions spécifiques aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ne semble pas endiguer la crise déclenchée quatre ans plus tôt.
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Source: RFI