Sur Arte, “American Gangster” : Ridley Scott réalise un thriller mafieux à sa sauce
L’histoire presque vraie du premier parrain afro-américain de Harlem dans les années 1970. Du pain béni pour le cinéaste, dans un genre qu’il n’avait jusqu’alors jamais abordé.
Russell Crowe dans “American Gangster” de Ridley Scott (2007) Universal Pictures
Par Marion Michel Partage
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Après avoir donné dans presque tous les genres cinématographiques – le road trip avec Thelma et Louise, la SF culte avec Alien, l’historique avec 1492 : Christophe Colomb, le péplum commode avec Gladiator, le film de guerre avec La Chute du faucon noir, le mélo provençal avec Une grande année, etc. –, le cinéaste américain Ridley Scott fait le compte : il en manque un ! Pas encore de thriller aux accents mafieux, du style Tony Montana et consorts, à son palmarès. Alors lorsque Universal lui confie les rênes d’American Gangster, le réalisateur est ravi. Et donne à ce scénario, adapté de la vraie vie de Frank Lucas, premier parrain afro-américain de Harlem, un petit look contemporain mais qui sait d’où il vient.
Duo d’hier…
Douze ans après Programmé pour tuer (1995), série B d’anticipation très dispensable, Denzel Washington et Russell Crowe renouvellent leur face-à-face électrique. À un détail près : dans American Gangster, les deux acteurs ne partagent l’écran que dans le dernier quart d’heure – sur 2h30, c’est un sacré score ! Si le genre du thriller mafieux repose habituellement sur une longue confrontation sous tension de deux antagonistes charismatiques – le flic et le truand, le parrain et l’obligé, etc. – dans son film, Ridley Scott ménage le suspense jusqu’au bout. Un jeu du chat et de la souris plus réaliste, plus compliqué aussi – nombre de personnages secondaires brouillent les pistes –, qui monte en pression des deux côtés de la loi. Dans leurs rôles, Washington et Crowe se livrent à un grand numéro, chacun aussi charmeur que dangereux, bien à l’ancienne. Dommage que l’effet de leur rencontre au sommet retombe comme un soufflé, car la fin du film est trop vite expédiée.
Denzel Washington et Russell Crowe, dans un enouveau face-à-face électrique, douze ans après « Programmé pour tuer ». Universal Pictures
... et trafics d’aujourd’hui
C’est toujours une affaire d’argent sale. Vol à main armée et trafic de stupéfiants dans Les Affranchis (1990), jeux d’argents clandestins et prostitution dans Le Parrain (1972), alcool de contrebande pendant la prohibition dans Les Incorruptibles (1987) et Il était une fois en Amérique (1984), les truands magouillent en toute illégalité pour se reverser plus qu’un coquet Smic mensuel. Pour Frank Lucas, qui arrive dans la partie en tant que premier chef mafieux noir américain de l’histoire, c’est la dope, la vraie, la pure. L’héroïne « Blue magic », non coupée, qu’il fait importer directement des cultures de pavot au Vietnam à partir de 1968. Jusqu’à la fin de la guerre, grâce à ses contacts militaires sur place, Frank Lucas met en place un fret aérien juteux qui arrosera de drogue tout Harlem. Avec ses manières de business man, et un sens du leadership très contemporain. Il est loin le temps des tripots sombres où les coups bas mûrissaient dans l’arrière-salle. Frank Lucas, homme d’affaires en costume semblable à tous les autres – et en chinchilla les soirs de match –, évite de se faire remarquer. Jusqu’à ce que…
Affaires de famille
Bribes d’anniversaire : « Mais arrête merde, c’est ton cousin ! » « J’en ai rien à foutre. Pour moi c’est une merde ! » Ledit cousin gisant inerte, la tête enfoncée dans la table d’harmonie d’un piano à queue. Voilà comment Frank Lucas travaille en famille. Autour de lui s’agite le gang Lucas, aussi appelé les Country Brothers (« les frères de la campagne », ça sonnerait presque comme « les frères ploucs »), qu’il a réuni après que sa petite entreprise a commencé à prendre de l’ampleur. Tandis qu’entouré de ses cinq frères, Lucas assoit son autorité familiale avec la rigueur placide d’un pasteur, son rival, le policier Richie Roberts galère dans un mariage qui prend l’eau et règle ses comptes au tribunal. Autre ambiance.
Un gangster de légende
Derrière American Gangster, il y a d’abord un article, dont s’est fortement inspiré le scénariste Steven Zaillian : « The Return of Superfly », publié en 2000 par le journaliste Mark Jacobson dans les pages du New York Magazine, fruit d’un long entretien avec l’ancien parrain de Harlem. L’homme, qui a collaboré avec la police pendant ses années de prison, s’est bien appliqué ensuite à bâtir sa légende. Jusqu’à être présent sur le tournage de Ridley Scott, et rencontrer à plusieurs reprises son double à l’écran, Denzel Washington. Mais faut-il tout croire ? De l’épouse de Frank Lucas, Portoricaine mais jamais élue Miss Porto Rico, à l’héroïne du trafic, en réalité coupée à 90 %, en passant par la drogue a priori cachée dans le double fond des cercueils de soldats américains rapatriés au pays, des décalages et des doutes entre film et réalité subsistent.
Source: Télérama.fr