Face au harcèlement scolaire, la délicate mission des juges
Quatre jeunes adolescents ont été jugés coupables de « harcèlement scolaire », lundi 5 juin, par le tribunal pour enfants d’Epinal, cinq mois après le suicide de Lucas, 13 ans, leur camarade au collège Louis-Armand, situé dans la ville voisine de Golbey (Vosges). Le tribunal n’a pas retenu le lien de causalité entre le harcèlement et le suicide évoqué par la mère de Lucas dans la foulée du drame. L’audience, début avril, portait uniquement sur la culpabilité des prévenus, âgés de 12 ans et 13 ans au moment des faits. Une seconde audience portant sur la sanction est prévue le 22 janvier 2024.
En octobre 2022, cinq jeunes avaient déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, à Caen, à des peines allant de deux mois à quatre mois de prison avec sursis, six ans après le décès de Juliette, 15 ans, qui s’était donné la mort à la suite de la diffusion de photos intimes sur les réseaux sociaux. Après le suicide de Lindsay, 13 ans, le 12 mai, dans le Pas-de-Calais, cinq personnes ont cette fois été mises en examen, dont quatre mineurs. Dans l’affaire Evaëlle, cette jeune fille de 11 ans qui s’est suicidée en 2019 dans le Val-d’Oise, l’instruction s’est achevée en mars. Un procès pourrait avoir lieu en 2024 pour les quatre mis en examen, dont trois mineurs et une enseignante.
Ce sont là les cas récents les plus tragiques, la partie émergée de l’iceberg du harcèlement scolaire, qui touche un élève sur dix en France. Partout dans le pays, dans des affaires où personne n’est mort, des parents déposent des plaintes. Le harcèlement scolaire franchit les murs de l’éducation nationale pour toquer à la porte de la justice, sous l’effet de deux mouvements : la judiciarisation de la société et l’expansion des réseaux sociaux, qui ont fait entrer le harcèlement scolaire dans une nouvelle ère.
« Constat d’échec de notre société »
En l’absence de statistiques, on peut simplement constater que, si ces affaires sont particulièrement sensibles, le contentieux reste limité : « Les procès pour harcèlement scolaire ne sont pas fréquents, parce que le phénomène est traité en amont au sein des établissements scolaires, explique Delphine Blot, déléguée du syndicat Unité Magistrats et ancienne juge pour enfants à Nanterre. En principe, c’est censé s’arrêter là. » En principe.
« Quand un cas de harcèlement scolaire atterrit au tribunal, c’est un constat d’échec de notre société sur le sujet. Ces histoires-là n’ont pas vocation à arriver en justice. » Le propos peut sembler paradoxal venant d’Erwan Balanant, député (MoDem) du Finistère qui a « créé » le délit de « harcèlement scolaire », regroupant ce qui était auparavant qualifié de « violences habituelles », « coups et blessures » ou « harcèlement moral ».
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Source: Le Monde