Guerre en Ukraine : que peut vraiment faire le cardinal Zuppi au nom du pape François ?
Un cardinal à Kiev. L’archevêque de Bologne et président de la Conférence des évêques italiens, Matteo Zuppi, a entamé lundi 5 juin une visite de deux jours dans la capitale ukrainienne. Objectif de la visite : « Écouter en profondeur les autorités ukrainiennes sur les moyens possibles de parvenir à une paix juste et de soutenir les gestes d’humanité qui contribuent à apaiser les tensions », selon le Vatican.
Une mission aux contours flous
L’agenda du cardinal n’a pas été rendu public et les contours de la charge confiée au cardinal italien demeurent particulièrement flous. Il faut dire que la ligne de crête est étroite, moins d’un mois après la visite à Rome, le 18 mai, du président ukrainien. Quelques heures après sa rencontre avec le pape, Volodymyr Zelensky avait écarté toute médiation. « Nous n’avons pas besoin de médiateur entre l’Ukraine et l’agresseur », avait-il affirmé.
« Cette mission n’a pas pour objectif immédiat la médiation mais plutôt de créer ce climat et d’aider à avancer vers une solution pacifique », a déclaré le cardinal Pietro Parolin le 26 mai. Cette mise à distance de la part du secrétaire d’État est aussi le signe de tensions internes au sein même du Vatican sur le bien-fondé de l’entreprise du cardinal italien.
À la Secrétairerie d’État, beaucoup y voient un court-circuit de l’action de la diplomatie vaticane. Les premières heures qui ont suivi la publication de la mission du cardinal, l’entourage de Matteo Zuppi a d’ailleurs clairement évoqué une « mission de paix », tandis que les responsables de la diplomatie papale ne cessaient de souligner qu’il ne s’agissait de rien de tel.
Un papabile et négociateur au Mozambique
Le cardinal Zuppi, souvent cité parmi les papabili, est une personnalité majeure en Italie. Si le pape lui a confié cette mission, c’est qu’il a à son crédit d’avoir activement participé, dans les années 1980, à la médiation qui a contribué à mettre fin à une longue guerre civile au Mozambique. À l’époque, il est prêtre et chargé pour la communauté de Sant’Egidio des questions africaines.
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C’est lui qui mène, avec le fondateur de cette communauté très influente, Andrea Riccardi, le dialogue qui débouchera le 4 octobre 1992 à la signature d’un accord général de paix, puis à l’arrêt, en 2005, de la lutte armée par les rebelles. « La force de Zuppi est de ne pas être lié à une structure d’État, défendent ses proches. Il sera beaucoup plus libre ainsi. »
« Faire dialoguer les Églises entre elles »
« Le Vatican ne peut pas faire beaucoup plus que de faire dialoguer les Églises entre elles », souligne un fin connaisseur de la Russie à Rome, rappelant que plusieurs Églises orthodoxes, dont une dépendant du Patriarcat de Moscou, coexistent en Ukraine. Mais au-delà de cette dimension religieuse, il est aussi possible que la mission du cardinal comporte une dimension morale.
Si le cardinal italien ne se rend, pour l’heure, qu’à Kiev, certains, dans l’entourage papal, soulignent que cette mission a pour objectif de faire la tournée de trois autres capitales : Washington, Moscou et Pékin. À Moscou, « Zuppi pourrait rappeler que l’Église catholique défend, comme le Patriarcat de Moscou, la famille et la tradition », indique un bon observateur de la Russie à Rome. Une manière de relativiser la justification de cette guerre par l’Église orthodoxe russe.
Un déplacement à Pékin ?
Si un déplacement à Moscou semble bel et bien possible, il en va tout autrement d’un éventuel voyage en Chine. Le Saint-Siège n’entretient pas de relations diplomatiques avec Pékin, en dehors des strictes relations pastorales, à travers un accord sur la nomination des évêques dans le pays. Mais à Rome, les plus fins analystes ont bien relevé que le Vatican n’avait cessé, ces dernières semaines, d’envoyer des signaux favorables.
Ce fut le cas notamment lorsque le pape loua, lors de deux audiences hebdomadaires, les qualités de deux missionnaires des XVIe et XVIIe siècles, saint François Xavier et Matteo Ricci : le premier rêva toute sa vie de s’y rendre, le second fut le premier missionnaire à l’évangéliser. Le 5 juin, le Vatican a également rendu publique la nomination d’un philosophe de République populaire de Chine, Tongdong Bai, à l’Académie pontificale pour les sciences sociales. Une première.
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À Rome, l’ampleur du scepticisme qui a saisi les cercles diplomatiques est inversement proportionnelle à l’ambition de la mission confiée par le pape au cardinal italien. « C’est une mission suicide, non ?, interroge franchement un ambassadeur en poste à Rome. Personne n’a réussi à faire cela ». « L’Ukraine, persifle un autre diplomate, n’est pas le Mozambique. »
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Une expérience de négociateur en chef
Avant même son ordination, en 1981, le cardinal Matteo Zuppi, 67 ans, a participé à la fondation de la communauté de Sant’Egidio.
En 1990, il est le médiateur en chef de Sant’Egidio dans les négociations de paix au Mozambique. En 2019, il accompagnera le pape dans ce pays.
En mai 2022, il a été choisi par François pour être le président de la Conférence des évêques italiens (CEI).
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Source: La Croix