Parmi les opposants arabes en exil, la peur d’une vague de répression transnationale

June 08, 2023
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Le militant égypto-palestinien Ramy Shaath quitte l’aéroport de Roissy, en banlieue parisienne, le 8 janvier 2022, après avoir été détenu en Egypte pendant plus de deux ans. JULIEN DE ROSA / AFP

Où se trouve Khalaf Al-Romaithi, dissident émirati de 58 ans, condamné par contumace par la justice de son pays, et qui détient aussi la nationalité turque ? L’agence de presse officielle émiratie WAM a confirmé, le 17 mai, ce que redoutaient ses proches et des militants des droits humains. M. Al-Romaithi, présenté comme « terroriste », a été arrêté à Amman et extradé vers les Emirats arabes unis, où il sera « rejugé ». Mais, depuis cette annonce, c’est le silence radio. « Nous ignorons où et dans quelles conditions Khalaf Al-Romaithi est détenu et interrogé. Les Emirats ont un sombre bilan en matière de torture », relève Sima Watling, spécialiste des pays du Golfe chez Amnesty International.

Exilé en Turquie, l’homme d’affaires avait été condamné, en 2013, à quinze ans de prison pour avoir formé un « groupe clandestin affilié aux Frères musulmans », dans le cadre d’un procès de masse considéré comme « inéquitable » par les défenseurs des droits humains. Ces derniers soulignent la criminalisation de toute dissidence par le régime émirati, qui a érigé le mouvement islamiste en ennemi public numéro un. Ils dénoncent aujourd’hui l’expulsion d’Amman de M. Al-Romaithi, de façon secrète et en violation des engagements du royaume de Jordanie.

Ce n’est pas la première fois que des opposants arabes figurant sur la liste rouge de leur pays sont rattrapés après avoir fui à l’étranger. En 2022, Bahreïn avait obtenu de la Serbie l’extradition d’Ahmed Jaafar Mohamed, en violation d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme. En 2015, Abdelrahman Ben Sobeih, un Emirati condamné lors du procès de masse de 2013, était expulsé de Malaisie. Fin 2022, Sherif Osman, un ancien militaire égyptien, détenant aussi la nationalité américaine, avait été arrêté pendant sept semaines aux Emirats arabes unis. En raison de pressions extérieures, Abou Dhabi avait finalement renoncé à le transférer vers Le Caire.

Le Moyen-Orient n’a pas le monopole de la répression transnationale. Mais, au moment où l’autoritarisme fait un retour en force dans la région, ce phénomène de traque des opposants jusque dans la diaspora inquiète particulièrement. Aux cas d’extradition, qui restent encore isolés, s’ajoute une surveillance en ligne tous azimuts des détracteurs des pouvoirs, en particulier via des logiciels d’espionnage vendus par des entreprises israéliennes, comme l’a montré le scandale Pegasus, en 2021. Courant mai, Areej Al-Sadhan, citoyenne américaine et sœur d’un ressortissant saoudien emprisonné à la suite de tweets critiquant les autorités de Riyad, a déposé une plainte en Californie contre Twitter et l’Arabie saoudite, les accusant d’avoir collaboré à des fins de « répression ».

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Source: Le Monde