Fin de tournée agitée pour Gérard Depardieu, rattrapé par des accusations de violences sexuelles

June 09, 2023
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Lille, Lyon, Tours, Bordeaux… Dans plusieurs villes où le comédien fait étape pour reprendre sur scène les chansons de Barbara, des militantes réclament avec force l’annulation du spectacle.

Rassemblement contre la venue de Gérard Depardieu à Lyon, le 27 mai. Photo Norbert Grisay /PhotoPQR/Le Progrès/MAXPPP

Par Valérie Lehoux Partage

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Vendredi 9 juin – jour de l’anniversaire de Barbara, qui aurait eu 93 ans –, la Tourangelle et militante féministe Mathilde Laumonier ne se faisait aucune illusion : « Nous avons envoyé notre communiqué à nombre d’élus locaux et à ce jour, aucun ne nous a répondu. » Le texte, cosigné par une vingtaine d’organisations, demande la déprogrammation du spectacle de Gérard Depardieu, prévu ce soir au Palais des congrès de Tours. Un hommage à Barbara initialement créé pour les vingt ans de la disparition de la chanteuse, qu’il promène depuis dans toute la France.

Motif du courroux de Mathilde Laumonier et de ses camarades : les accusations de violences sexuelles ou sexistes portées contre le comédien par treize femmes, dans une récente enquête de Mediapart – sans compter une mise en examen pour viol. Depuis la publication de ce long article, le 11 avril dernier, plus rien ne se passe comme avant dans l’interminable tournée de Depardieu : chaque nouvelle halte, ou presque, suscite des protestations. À Lille, un cordon policier a dû être mis en place pour assurer l’entrée des spectateurs dans la salle ; à Bordeaux, les boutiques avoisinant le théâtre ont été fermées plus tôt que d’ordinaire, en prévision du rassemblement ; à Lyon, la centaine de manifestantes et manifestants a ajouté une casserolade aux pancartes du style « Pas d’honneur pour les violeurs » ou « Spectateurs, ne soyez pas complices ».

À Tours, cité plutôt tranquille des bords de Loire, la tension monte depuis plusieurs semaines : un collage féministe est apparu sur la façade du Palais des congrès, désigné par les Tourangeaux comme « le Vinci » (son premier nom) : « Depardieu Vinci complice ». Un autre a été vu quelques mètres plus loin : « Non à la culture du viol ». Une affiche du spectacle a été taguée d’un « Violeur ». Des graffitis du même ordre ont surgi à même le sol, dans divers coins de la ville. Surtout, l’appel à manifester contre le spectacle a été signé par les associations féministes locales, mais aussi des groupes communistes, écologistes, LGBT, antifascistes… « Tours n’est pas une grande ville, mais nous arrivons régulièrement à mobiliser trois cents ou quatre cents personnes sur des événements qui nous semblent importants, reprend Mathilde Laumonier (membre pour sa part du Réseau féministe d’Indre-et-Loire). Pour Depardieu, on espère davantage. Il faut cesser de dire qu’il est un monstre sacré du cinéma. C’est un monstre tout court. »

Un panneau publicitaire annonçant le concert de Gérard Depardieu à Tours, le 10 juin, a été vandalisé. Photo Phœbé Humbertjean/PhotoPQR/La Nouvelle République/

Quid de la présomption d’innocence ? La militante balaie l’argument. « Au-delà du volet purement judiciaire, il existe de nombreux témoignages qui se recoupent et qui attestent d’un comportement inacceptable de ce monsieur sur les plateaux de tournage. Ce genre d’attitude de toute-puissance, totalement irrespectueuse, existe en dehors du cinéma. Or quand il les constate ou que les indices sont suffisants, un chef d’entreprise n’a pas besoin d’une quelconque décision de justice pour écarter un salarié qui mettrait en danger ses collègues. C’est la même chose ici. » Quid encore de l’amitié très forte qui liait Depardieu à Barbara – au point qu’ils ont fait un spectacle ensemble en 1986 –, et qui rend le comédien parfaitement légitime à la chanter ? « Les temps ont changé depuis 1986, #MeToo a rebattu les cartes, on n’accepte plus les mêmes choses qu’hier et les révélations sur Depardieu se sont multipliées ces derniers temps. Et puis savoir que Barbara [disparue en 1997] a été victime d’inceste rend d’autant plus insupportable ce spectacle de Depardieu. Comme si cela le dédouanait de ses propres actes… Mais il est vrai que les abuseurs, pour leur défense, ont souvent tendance à instrumentaliser une femme de leur entourage. » Les exégètes de l’œuvre de Barbara voient depuis longtemps dans L’Aigle noir une allégorie de l’inceste qu’elle a subi. Ces dernières semaines, parmi les collages ou les pancartes remarqués au fil de la tournée de Gérard Depardieu, un est revenu régulièrement : « L’Aigle noir, c’est toi ».

À Toulouse, le 25 mai. Photo Frederic Charmeux/PhotoPQR/La Dépêche du Midi/MAXPPP

L’actuel producteur du spectacle, Becker’s Prod (1) (basé à Clermont-Ferrand) n’a pas répondu à nos sollicitations. Silence également de la part du Palais des congrès de Tours. À l’heure où nous écrivons, le spectacle de ce samedi 10 juin n’affiche pas complet, pas plus d’ailleurs que celui de jeudi prochain, à Marseille, dernière date actuellement prévue. Entre-temps, deux autres soirées viennent d’être annulées, au Havre et à Chambéry – chacune des salles concernées nous a assuré que l’annulation avait été décidée par le producteur, sans explication. À Bordeaux, une deuxième date (celle du 23 mai) avait été annulée, sans doute pour des soucis de remplissage.

Ironie, cruelle, de l’histoire : le 26 mars 1994, Barbara donnait l’ultime concert de sa longue vie de « femme qui chante ». Elle n’avait pas fait d’adieu, mais ceux présents dans la salle – dont l’autrice de ces lignes – se rappellent un récital d’une extraordinaire intensité, au cours duquel, très loin de ses habitudes, elle était descendue de scène, se rendant au milieu du public comme pour l’enlacer une dernière fois. C’était à Tours, au Vinci.

Source: Télérama.fr