Noémie Merlant : "À mes débuts, je suis tombée sur des sales types qui auraient pu me dégoûter de ce métier"

April 28, 2023
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Dans Un an, une nuit, l'actrice incarne une survivante du Bataclan, aux côtés de Nahuel Pérez Biscayart. Confidences.

L'intelligence de ses choix force le respect. Film après film, de Portrait de la jeune fille en feu à Tár, en passant par Les Âmes sœurs, d'André Téchiné, Noémie Merlant surprend, se réinvente, prend des risques et s'impose comme l'une des actrices les plus passionnantes de notre cinéma. Tout juste césarisée pour son second rôle dans L'Innocent, de Louis Garrel, et attendue dans Une année difficile, la comédie écolo d'Olivier Nakache et Éric Toledano, elle émeut à nouveau dans Un an, une nuit, chronique intime et post-traumatique sur la reconstruction d'un couple présent au Bataclan le 13 novembre 2015. Un rôle à sa mesure, profond et délicat.

En vidéo, Un an, une nuit, la bande annonce

Madame Figaro . – Aborder le sujet des attentats s'accompagne-t-il d'appréhensions ?

Noémie Merlant. – Inévitablement, car le traumatisme est encore vif. Mais la rencontre avec Ramón González m'a convaincue : il était au Bataclan avec sa compagne et l'a raconté dans le livre qu'adapte ici le réalisateur Isaki Lacuesta. Chaque personne présente ce soir-là a vécu les événements et tenté de surmonter le trauma différemment : il y a ceux qui avaient besoin de tout raconter, comme Ramón, ceux qui étaient dans le déni, comme sa conjointe dont mon personnage est inspiré, ceux qui ne se considèrent pas comme victimes car ils n'ont pas été blessés, ceux qui n'y étaient pas mais dont la vie s'est arrêtée car ils avaient des proches sur place… Il est important que des films comme celui-ci existent, non seulement pour témoigner, mais aussi pour ouvrir la discussion et offrir un espace à ceux qui en ont besoin.

Il est important que des films comme celui-ci existent, non seulement pour témoigner, mais aussi pour ouvrir la discussion et offrir un espace à ceux qui en ont besoin Noémie Merlant

Où étiez-vous le 13 novembre 2015 ?

Chez moi, à Paris, non loin du Bataclan. J'étais en train d'apprendre mon texte pour Le ciel attendra, de Marie-Castille Mention-Schaar, dans lequel je jouais une jeune fille embrigadée dans le djihad et qui défendait justement les arguments des terroristes. La préparation et le tournage ont été très chargés après le 13 Novembre. C'était très étrange, au point que nous avons tous hésité à continuer. Et puis, finalement, il nous a semblé essentiel de raconter aussi les stratégies d'enrôlement, la déradicalisation et les drames intimes de familles impuissantes face à l'embrigadement.

Les comédiens Noémie Merlant et Nahuel Pérez Biscayart, dans Un an, une nuit, d'Isaki Lacuesta. Photo S. P.

Avez-vous rencontré des gens qui étaient présents au Bataclan pour préparer Un an, une nuit ?

J'ai regardé des documentaires, beaucoup lu, et le réalisateur a partagé son travail de recherche, auprès de psys notamment, qui lui expliquaient par exemple que certaines personnes souffraient d'hyperesthésie, une forme de sensibilité accrue au son, aux odeurs ou à la lumière. Cela nous a aidés à construire nos personnages. Pour le reste, Ramón et sa conjointe étaient nos référents. Au début, je n'osais pas les interroger, je craignais que cela remue trop de choses, mais ils ont eu une parole très libre. Ils étaient même présents sur le tournage, y compris pour les scènes d'attentat, qui d'ailleurs ne sont pas une reconstitution mais la retranscription de leurs souvenirs. Lesquels divergent selon les témoignages : le cerveau réinvente sans cesse les souvenirs, plus encore quand cela s'accompagne d'un traumatisme.

«J'adore jouer avec les acteurs qui mouillent la chemise»

Un mot sur Nahuel Pérez Biscayart, votre partenaire ?

Être à l'aise avec mon partenaire n'est pas toujours une évidence, mais avec Nahuel, tout était facile, respectueux, fluide. Et puis j'adore jouer avec les acteurs qui mouillent la chemise. Même nos scènes intimes étaient simples : il y avait un respect incroyable, aucune gêne. Une configuration idéale qu'on aimerait connaître plus souvent.

Le film parle surtout de réparation…

Oui, et d'ailleurs Ramón et sa compagne ont vécu le projet comme un exutoire. Nous voir jouer ces scènes était non seulement pour eux une manière d'exorciser, de mettre à distance, mais participer à un projet créatif autour du drame leur permettait aussi d'en sortir quelque chose de positif, de reprendre le contrôle d'une certaine manière. Je trouve aussi que le film aborde en creux un sujet intéressant : pourquoi a-t-on parfois besoin d'un événement traumatique pour se poser les bonnes questions ? L'être humain est ainsi fait qu'il prend du recul et revoit parfois l'ordre de ses priorités après un accident, la perte d'un proche…

Pourquoi a t-on parfois besoin d'un événement traumatique pour se poser les bonnes questions ? Noémie Merlant

Vous est-il justement arrivé de tout remettre en question dans votre vie ?

À mes débuts, quand j'étais mannequin et que j'essayais d'être actrice. J'étais naïve, je débarquais de ma banlieue nantaise et je suis tombée sur des cas, des sales types qui chassaient des gamines de 18 ans. J'ai échappé au pire, mais ils auraient pu me dégoûter de ce métier.

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«Il y a si peu de choses sur les aidants et tant de personnes concernées»

Où en êtes-vous de vos projets de réalisation ?

J'ai fini le montage du documentaire consacré à mon père qui, handicapé, est accompagné au quotidien par ma mère. Je ne sais toujours pas où il sera montré (en festival, sur une plateforme, une chaîne, au cinéma…), mais j'ai envie de le partager. Il y a si peu de choses sur les aidants et tant de personnes concernées. Et cet été, je tourne Les Femmes au balcon, mon deuxième film de fiction, une comédie féroce, une farce sanglante. Avec Souheila Yacoub et Sanda Codreanu, on joue trois amies qui, depuis leur appartement, observent leur voisin, objet de leurs fantasmes.

À la rentrée, vous tournerez une nouvelle version d'Emmanuelle . Un défi ?

J'ai l'impression d'en relever à chaque film, quand je joue en anglais face à Cate Blanchett dans Tár ou que je me fais violence en sortant de ma réserve dans L'Innocent, de Louis Garrel. Pour Emmanuelle, c'est autre chose : le personnage est chargé d'une histoire, d'images iconiques.

Et d'un caractère charnel…

Cela ne me pose pas de problème. Je revendique le droit de tourner nue si ça me chante : mon corps m'appartient et tout me va tant que je fixe les limites. Je sais aussi qu'avec Audrey Diwan, tout se passera dans un cadre bienveillant. Je peux par ailleurs avoir un rapport au corps, au nu, désexualisé : j'y vois la peau, la nature, le beau. Et parfois l'art.

Un an, une nuit, d'Isaki Lacuesta, avec Noémie Merlant, Nahuel Pérez Biscayart…

En vidéo, Les Âmes sœurs, la bande-annonce avec Benjamin Voisin Noémie Merlant

Source: Le Figaro