Malgré la détente régionale, la présidentielle libanaise toujours dans l’impasse

June 13, 2023
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Vacance du pouvoir

Au Liban, où une 12e séance parlementaire est consacrée mercredi à l’élection d’un président de la République – un poste vacant depuis sept mois –, le blocage politique reste total. Et ce, malgré l’émergence récente d’un candidat, Jihad Azour, soutenu par les principaux partis chrétiens et l’opposition, et un contexte régional favorable marqué par un dégel entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Décryptage.

Des députés libanais participant à une session parlementaire dédiée à l'élection présidentielle à Beyrouth, le 29 septembre 2022.

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Alors que le mandat de six ans du président libanais Michel Aoun a pris fin le 31 octobre, les 128 députés du Parlement qui ont constitutionnellement la charge d’élire son successeur sont convoqués mercredi 14 juin pour tenter, à nouveau, d'élire un chef de l’État.

Lors de cette 12e séance parlementaire, deux candidats maronites devront être départagés par un Parlement dans lequel aucun camp politique ne dispose de la majorité. Il s’agit de Sleiman Frangié, un ancien ministre de l’Intérieur proche de Damas et de Jihad Azour, un ancien ministre des Finances qui était jusqu’à la fin de la semaine dernière directeur régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au FMI.

Pour être élu dès le premier tour, l’un des deux candidats doit réunir la majorité des deux tiers des voix, soit le vote de 86 députés sur les 128 que compte le Parlement. À défaut, un second tour est organisé. Dans ce cas, la majorité absolue suffit pour accéder à la présidence, c’est-à-dire 65 voix.

Jihad Azour, photographié lors d'un entretien avec AP, à Dubaï, aux Émirats arabes unis, le 2 mai 2023. © Jon Gambrell, AP

Toutefois, selon les médias libanais et les experts, la séance parlementaire programmée mercredi devrait connaître le même sort que les onze précédentes séances. L’enjeu de ce rendez-vous semble ailleurs, puisqu’il va surtout permettre de mesurer les forces qui se font face, estime Émile Bitar, directeur de l'Institut de sciences politiques de l'université Saint-Joseph de Beyrouth et directeur de recherche à l'Iris.

"À moins d’un coup de théâtre, on se dirige mercredi vers un scrutin qui va essentiellement servir aux deux camps à se jauger mutuellement et à compter leurs soutiens, l’objectif de cette séance n’étant clairement pas le déblocage politique tant attendu, décrypte-t-il. À l’issue du premier tour, on pourrait voir, comme lors des séances précédentes, des parlementaires du camp du Hezbollah quitter la séance pour empêcher la tenue d’un second tour".

Et donc l’élection de Jihad Azour. Un candidat dont le nom a émergé fin mai et qui a la particularité d’être soutenu par les trois principaux partis politiques chrétiens – d’un côté, le Courant patriotique libre de Michel Aoun ; de l’autre, les Forces libanaises (FL) de l’ancien chef de guerre Samir Geagea, les Kataeb de la famille Gemayel.

Un tour de force tant la rivalité historique entre les FL et le camp de l’ancien président, dont l’alliance avec le Hezbollah qui l’a porté au pouvoir bat de l’aile, a longtemps pesé sur l’échiquier politique maronite, la communauté chrétienne majoritaire dans le pays, à laquelle est traditionnellement réservé le poste de président.

L’entente interchrétienne s’explique notamment par l’impossibilité de ces partis d’imposer les uns aux autres un candidat issu de leurs rangs, et par le refus d'élire un candidat choisi par le Hezbollah. Petit-fils de l’ancien président éponyme (1970–1976) et fidèle allié politique du parti chiite, Sleiman Frangié est aussi rejeté en raison de sa faible représentativité et de son influence qui se limite au Nord-Liban, fief politique de sa famille féodale.

Rare entente entre les principaux partis chrétiens

"En politique, disait Alexis de Tocqueville, la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés, donc c’est parce qu’ils ont un adversaire commun, le candidat Sleiman Frangié, et une volonté commune de lui faire barrage, que la grande majorité des partis chrétiens se sont récemment retrouvés autour du profil de Jihad Azour, un centriste modéré et un technocrate bon connaisseur des questions économiques et financières".

Cette candidature peut également compter sur l’appui des partis d’opposition, du leader druze Walid Joumblatt et d’un groupe de députés indépendants. Même le député Michel Moawad, le candidat de l’opposition jusqu'ici, a annoncé dimanche se retirer au profit de Jihad Azour. Selon les estimations des médias locaux, l’ancien ministre des Finances peut récolter au minimum entre 58 et 59 voix au Parlement.

Sauf que le Hezbollah, le mouvement pro-iranien qui domine de facto, grâce à son arsenal militaire, la scène politique libanaise, considère l’ancien ministre, jugé proche de Washington, comme un candidat de défi.

Début juin, Hassan Fadlallah, un député du parti chiite, avait estimé que la candidature de Jihad Azour était une "perte de temps", arguant selon des médias locaux qu'il était "le candidat du défi et de la confrontation [qui] n'ira pas loin".

Sleiman Frangié, chef du mouvement Marada, lors d'une conférence de presse, à Bkerké, au Liban, le 30 octobre 2021. © Mohamed Azakir, Reuters (archives)

"Le Hezbollah a bien fait comprendre qu’il n’acceptera pas l’élection de Jihad Azour, est qu’il reste déterminé à faire élire son candidat Sleiman Frangié, qui est très marqué politiquement et qui a la réputation de tenir parole, insiste Karim Émile Bitar. Le parti de Hassan Nasrallah a pleinement confiance en cet allié de longue date, qui est par ailleurs un ami personnel du président syrien Bachar al-Assad".

Une présidentielle sous influence étrangère

Selon Karim Émile Bitar, c’est cette détermination du parti pro-iranien, et celle de l’autre parti chiite Amal, dirigé par le président du Parlement Nabih Berri, à imposer Sleiman Frangié à la présidence qui a conduit dans un premier temps la France à soutenir, en coulisses, la candidature de Sleiman Frangié. "Contre certaines concessions et quelques garanties afin de débloquer la crise politique".

Un soutien "au nom de la realpolitik" qui a provoqué "une certaine incompréhension, voire même une certaine colère, du côté des amis de la France à Beyrouth", confie l’expert.

C’est dans ce contexte que le président Emmanuel Macron a nommé le 7 juin son ancien ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian comme "envoyé personnel pour le Liban", afin de "faciliter" une solution "consensuelle et efficace" à la crise politique que traverse le pays du Cèdre.

Toutefois, et les Libanais y sont habitués, la France est loin d’être le seul acteur étranger à s’investir dans le dossier présidentiel.

02:00 © France 24

"Tout au long de l’histoire du Liban, toutes les élections présidentielles, sans exception, ont été marquées par des interférences étrangères, rappelle Karim Émile Bitar. Cette fois-ci, elles seront encore plus massives qu’à l’accoutumée, puisque les puissances étrangères ne prennent même pas la peine de mettre les formes, comme lorsque cinq nations se réunissent, à Paris, pour explorer les différentes options et passer au crible les CV des candidats pressentis".

Le 6 février, des représentants de la France, des États-Unis, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et du Qatar, réunis dans la capitale française, se sont penchés sur la situation au Liban et notamment sur l’élection du futur chef de l’État, une étape-clé pour sortir le pays de l’impasse politique et lui faire bénéficier de l’aide internationale afin de ressusciter son économie.

Un contexte régional favorable

Le scrutin présidentiel libanais est historiquement tributaire du contexte régional, qui a récemment vu le régime syrien redevenir fréquentable aux yeux des pouvoirs arabes, et du rapport de forces au Moyen-Orient.

Notamment entre l’Arabie saoudite et l’Iran qui comptent, à l’instar de la Syrie, ancienne force occupante (1976-2005), d’importants relais sur la scène politique libanaise et qui ont officiellement annoncé, début avril à Pékin, la reprise de leurs relations bilatérales après des années de tensions.

"La désescalade dans la région, le rapprochement irano-saoudien et la réintégration de Bachar al-Assad au sein de la Ligue arabe auraient en principe dû faciliter l’élection d’un président à Beyrouth, estime Karim Émile Bitar. Mais comme souvent au Liban, où il y a deux échelons, un régional et un autre, local, la situation sur le plan local reste bloquée, dans le sens où certains alliés locaux de Riyad et de Téhéran ne sont pas encore prêts à suivre les pas de leurs parrains étrangers".

Et d’ajouter : "Malgré une certaine autonomie et la prise en considération de leurs propres intérêts et agendas, ces acteurs libanais finiront forcément par rentrer dans le rang en cas d’un accord international total et définitif sur un candidat consensuel".

Karim Émile Bitar explique qu’un modus vivendi commence à se dessiner entre les deux puissances régionales, mais il tarde à se traduire au Liban. Notamment parce que "le dossier de la guerre au Yémen est prioritaire" pour les Iraniens, soutien des Houthis, et les Saoudiens, qui dirigent la coalition appuyant les forces gouvernementales face aux rebelles chiites.

"Au final, le Liban est toujours sur le menu, mais il est très rarement autour de la table, conclut-il. Le destin du pays se négocie dans des capitales étrangères, parfois dans l’intérêt des Libanais et parfois à leur détriment, ce qui entretient leur sentiment d’être dépossédés de leur souveraineté et les otages impuissants de crises internationales qui leur échappent totalement".

Lors de la dernière présidentielle, le pays du Cèdre était resté sans président pendant 29 mois, avant qu’un accord ne soit trouvé pour procéder à l’élection de Michel Aoun.

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Source: FRANCE 24