Serions-nous aussi passionnés par les séries sans Berlusconi ?

June 13, 2023
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“Shérif, fais-moi peur”, “Chips”, “K2000”… Dans les années 1980, La Cinq, gérée par le groupe du mogul italien, a diffusé des flots de feuilletons américains achetés à bas coût. Ils ont biberonné les jeunes d’alors, et sans doute nourri une future appétence pour l’art sériel…

Sherif, fais-moi peur (Dukes of hazard), 1979-1985, avec Tom Wopat, Catherine Bach et John Schneider. Warner TV

Par Caroline Veunac Partage

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15 octobre 1986, disons vers 15h30. Un mercredi après-midi comme un autre pour un écolier français : verre de Banga sur la table basse et miettes de Savane au coin des lèvres, on regarde La Cinq. Ou, plus précisément, les séries de La Cinq. Shérif, fais-moi peur, Supercopter, K2000, Riptide, Chips, Tonnerre mécanique… Tout ce que la télé américaine produit alors de crétineries supercool, si possible à base d’engins motorisés, se déverse non-stop sur la chaîne lancée en France six mois plus tôt par le mogul des médias italiens, Silvio Berlusconi.

Alors que le Cavaliere vient de passer l’arme à gauche, et sera bientôt enterré avec ses multiples casseroles, il convient de lui accorder ça : s’il n’avait pas laissé couler le robinet dans les années 80, la sériephilie de toute une génération ne serait pas tout à fait ce qu’elle est aujourd’hui.

Lorsqu’ils décrochent la concession du cinquième réseau hertzien créé par le président d’alors, François Mitterrand, Berlusconi et son groupe, Fininvest, importent en France la recette de la télé-poubelle transalpine : pub à volonté et divertissements bas de gamme multidiffusés. Et les séries achetées à bas coût dans les fonds de tiroir de Hollywood sont au cœur de la stratégie de subjugation. Contrairement à leur programmation plus espacée sur les chaînes classiques, leur diffusion sur La Cinq s’apparente à du matraquage.

Madeleines de Proust

Les parents poussent des cris d’orfraie devant l’indigence des feuilletons proposés après l’école, tout en se frottant les mains de faire des économies de nounou. Et tout le monde choisit de ne pas trop s’inquiéter des dommages cérébraux consécutifs au biberonnage intensif, par des esprits encore malléables, d’une série dont chaque épisode consiste à voir deux demeurés sudistes et leur cousine en microshort faire des tours de comté à toute berzingue pour échapper à la police locale (pour ne prendre que l’exemple éloquent de Shérif, fais-moi peur).

Avec le recul, on peut émettre des hypothèses sur les effets secondaires à long terme : l’ingestion massive d’un imaginaire venu des États-Unis par les gamins nés entre 1975 et 1985 a sans doute participé à leur appétence plus tardive pour la vague sérielle qui a transformé le médium au début des années 2000. Si niaises fussent-elles, les séries populaires de La Cinq, confondues avec l’enfance, sont devenues des madeleines de Proust, créant un rapport à la fois émotionnel et compulsif avec les séries américaines en général.

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Les Soprano, The Wire, Six Feet Under… Arrivant à maturité en même temps que l’art sériel, les gamins jadis hypnotisés par La Cinq ont été les premiers amateurs en France des grands chefs-d’œuvre du troisième âge d’or. Il faut dire que, pour compléter l’hameçonnage, La Cinq avait laissé passer dans ses grilles une série avant-gardiste nommée Twin Peaks. Une pure œuvre d’art entre deux pantalonnades : il y avait effectivement de quoi nous rendre fou (de séries).

Source: Télérama.fr