Les forces ukrainiennes tentent de trouver la brèche au milieu des champs de mines russes

June 13, 2023
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L'armée ukrainienne teste la première ligne du système défensif mis en place ces derniers mois par Moscou, ce qui entraîne d'inévitables pertes de matériel, en raison notamment du recours massif aux pièges explosifs par les Russes.

Kiev doit relever un immense défi logistique pour espérer reconquérir ses territoires. Les forces russes ont en effet mis en place depuis plusieurs mois un gigantesque système de défense pour contrarier une éventuelle contre-offensive.

Celui-ci respecte "un schéma classique" en trois lignes, détaille Guillaume Ancel, ancien officier de l'armée française. Une première est composée d'obstacles ("dents de dragon", engins explosifs, fossés...), afin de ralentir au maximum d'éventuelles incursions. Des unités militaires équipées de mitrailleuses lourdes et de mortier forment un deuxième rideau. Enfin, en dernier ressort, l'artillerie et des unités de manœuvre ont pour mission d'interdire l'accès à l'ennemi.

L'analyste Brady Africk cartographie les systèmes de défense russes depuis le début de l'invasion en Ukraine. (BRADY AFRICK / AMERICAN ENTERPRISE INSTITUTE)

A ce stade, les forces ukrainiennes "sont en train d'entamer ce long mur comme une vitre blindée, de tous les côtés", explique Guillaume Ancel, qui dénombre une vingtaine d'attaques en cours. "Les Ukrainiens n'engagent pas des unités très importantes, mais des 'pointes', et ils se retirent ensuite", ce qui oblige les forces russes à se déplacer en permanence, afin de couvrir une potentielle percée ukrainienne. A terme, "leur capacité de réaction va se fragiliser quand la première ligne sera entamée à plusieurs endroits du front", estime l'ancien officier français. Dès lors, la brèche tant souhaitée par l'état-major ukrainien pourrait s'ouvrir.

Une composante essentielle du premier rideau

Alors que la contre-offensive vient d'entrer dans sa phase dynamique, l'Ukraine commence tout juste à tester la première ligne, couverte d'engins explosifs. Le ministère de la Défense russe a diffusé le 22 mai sur Telegram la vidéo de parachutistes dépêchés en urgence pour mener une opération de minage près de la ligne de front, depuis des véhicules blindés.

Des parachutistes russes participent à une opération de minage à partir de deux blindés de transport russes, dans une vidéo publiée le 22 mai 2023 par le ministère de la Défense russe. (MINISTERE DE LA DEFENSE RUSSE / TELEGRAM)

L'armée utilise également des ISDM Zemledeliye. Ces véhicules lancent des roquettes guidées chargées de mines, afin de les disperser à plusieurs kilomètres de distance. "Les mines font partie de la ligne défensive au même titre que les ouvrages bétonnés ["dents de dragon"] ou la préparation du terrain [tranchées antichars] ", souligne Thibault Fouillet, expert militaire à la Fondation pour la recherche stratégique. "Mais il s'agit de l'élément le plus emblématique, car c'est celui qui provoque des dégâts."

Cependant, les champs de mines n'ont d'intérêt que dans "un système plus large". Les autres obstacles ont pour vocation de guider les forces ukrainiennes vers ces secteurs piégés ou des positions couvertes par l'artillerie. Au mois de janvier, à Vouhledar, les forces russes avaient perdu toute une colonne blindée, bloquée par un champ de mines. "Les véhicules qui essayaient de reculer avaient été pris sous l'artillerie", raconte Thibault Fouillet.

Cette fois, c'est au tour de Kiev de chercher la parade. " Nos troupes rencontrent des champs de mines continus, qui sont combinés avec des fossés antichars", a reconnu sur Telegram Hanna Malyar, vice-ministre de la Défense. Les opérations de déminage sont d'autant plus complexes qu'elles sont menées près de la ligne de front, sous le ballet des drones et à portée des missiles antichar. Ces engins explosifs sont difficiles à identifier et la menace est omniprésente. Plusieurs vidéos attestent déjà des pertes sur la ligne de front. Des images, apparues lundi, montrent l'explosion d'une mine au passage d'un véhicule de transport américain Humvee.

Selon deux responsables américains interrogés par CNN, les forces ukrainiennes ont subi des pertes "importantes" en hommes et en matériel lourd, lors de leur première tentative de percée à l'Est, y compris concernant les blindés de transport MRAP, prévus pour résister aux mines et fournis par Washington. La capacité à franchir ces obstacles, le "bréchage", constitue donc un enjeu central pour les prochaines semaines. Des démineurs de l'armée ukrainienne ont commencé à neutraliser des mines à la main, en profitant de la discrétion de la nuit, affirmait un commandant ukrainien au Washington Post.

Des véhicules spécifiques au "bréchage"

Mais en général, "cela débute avec un bombardement d'artillerie, afin de détruire un maximum de mines", explique Guillaume Ancel. Il existe ensuite plusieurs systèmes. Un char UR-77 Meteorit, de confection soviétique, peut être utilisé pour lancer une charge explosive reliée à des cordons. La détonation provoque des vibrations dans le sol, qui entraînent l'explosion des mines. Ce véhicule doit permettre "d'ouvrir des passages pendant les combats", assurait fin mai l'armée ukrainienne dans une vidéo. Les chars et les blindés qui l'accompagnent ont pour mission de le protéger du feu ennemi.

Autre option : un char avec un rouleau antimines, qui "fait exploser tout ce qu'il touche et laisse une seule trace, derrière laquelle tout le monde doit passer", poursuit Guillaume Ancel. La Finlande avait notamment livré six Leopard-2R, un véhicule transformé pour répondre à cette mission. Mais trois d'entre eux ont été détruits la semaine passée dans la région de Zaporijjia, selon un document partagé par des canaux pro-russes. Cette vidéo est jugée authentique par les principaux analystes et le site spécialisé néerlandais Oryx, qui recense les pertes militaires depuis le début de la guerre.

Cette image, largement commentée, montre la destruction, début juin 2023, de trois Leopard-2R spécialisés dans le déminage, ainsi que les épaves de plusieurs autres véhicules. (TELEGRAM)

Cet événement "n'est pas anodin", commente Thibault Fouillet. Bien sûr, les Ukrainiens "s'attendent à perdre des véhicules, mais les systèmes spécifiques au bréchage sont peu nombreux dans leur armée et dans le monde". L'enjeu est toutefois de rentabiliser ces équipements, et qu'ils aient au moins produit un effet opérationnel. "Ici, il semble que ces chars aient été détruits avant même d'avoir pu agir." Selon l'ancien officier, "si cela se répétait, cela pourrait devenir un problème et ralentir le tempo de l'opération. A l'inverse, si ces cas restent limités, cela voudra dire que les Ukrainiens conservent leurs moyens d'avancer."

Ces équipements spécifiques ont été moins médiatisés que les chars ou les avions. Pourtant, les Ukrainiens "ont besoin de capacités d'ingénierie pour traverser les champs de mines (...) et percer les obstacles", rappelait fin mai Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'Otan, le 24 mai. Ces derniers mois, l'Allemagne, la Slovaquie, le Canada, la Corée du Sud et le Danemark ont annoncé le transfert de blindés dédiés (Wisent 1, par exemple) ou de systèmes de déminage (GCS-200). Les Etats-Unis ont transféré des blindés MRAP et incluent, dans leur aide militaire, des "systèmes de déminage" et des "munitions de démolition". Kiev, en revanche, n'a pas obtenu de M1150 Assault Breacher, des monstres de 80 tonnes produits aux Etats-Unis.

Une temporalité différente par rapport à l'an passé

L'armée ukrainienne n'utilise actuellement qu'entre un quart et un tiers des brigades nouvellement formées, selon Thibault Fouillet, en attendant de trouver la brèche et de s'y engouffrer, et quitte à s'armer de patience. "Le tempo n'est pas le même qu'à l'été dernier", analyse-t-il. A Kharkiv, les forces ukrainiennes avaient bénéficié d'une percée surprise, sur un point mal ou peu défendu. A Kherson, il n'y avait pas de système défensif avec des lignes successives. "Les opérations sont plus lentes, et le risque d'attrition plus élevé. Mais la logique est bien de produire des percées et d'aller suffisamment vite pour éviter un repli des forces russes en bon ordre."

"Le plus grand danger, pour les forces ukrainiennes, est un enlisement, car elles seraient exposées à l'artillerie russe, puissante et nombreuse, souligne Guillaume Ancel. Le difficile bréchage des champs de mines n'est pas un point rédhibitoire, selon lui, mais les Ukrainiens doivent continuer de harceler la ligne de front. "Tout le monde sait renverser la première ligne d'obstacles. Le problème est surtout de savoir combien de temps il faudra." D'autant que les forces ukrainiennes, si elles parviennent à progresser, rencontreront des lignes de défense de plus en plus denses, comme sur l'axe entre Zaporijjia et Melitopol ou dans le nord de la Crimée.

Source: franceinfo