La fronde des maires contre les zones à faibles émissions

June 13, 2023
414 views

Dans un rapport du Sénat que nous dévoilons, les parlementaires estiment que l’utilité des ZFE est «limitée» et dénoncent «un accompagnement défaillant de l’État» dans leur mise en œuvre.

ZFE: encore méconnues de certains Français, ces trois lettres sont devenues le cauchemar des automobilistes et de certains élus qui y sont confrontés. Cet acronyme désigne les zones à faibles émissions, ces périmètres dans lesquels les véhicules les plus polluants ne pourront bientôt plus circuler, selon un calendrier fixé par l’État. Déjà onze dispositifs de ce type ont été installés dans les métropoles les plus polluées comme Paris, Lyon, Marseille, ou encore Grenoble et Rouen. Avant le 31 décembre 2024, 32 autres ZFE seront créées dans les agglomérations de plus de 150.000 habitants. Soit 43 au total.

Dans deux ans, 13 millions d’automobilistes ne pourront donc plus entrer dans les grandes villes, celles qui concentrent pourtant tous les services publics, de moins en moins présents dans les petites communes. Alors que l’accès aux soins ou à l’éducation risque de virer au casse-tête, la colère commence à monter parmi les Français.

À lire aussiBruno Bernard (EELV): «Il y a une incompréhension des citoyens»

Face à ces tensions de plus en plus palpables, certains élus qui avaient imposé une réglementation «maison» comme la loi le permet, avec des restrictions de circulation particulièrement sévères, reculent. Dans la Métropole du Grand Paris par exemple, les voitures à vignette Crit’Air 3 devaient être interdites dès juillet prochain dans le périmètre intérieur à l’A86. La mesure sera finalement décalée à fin 2024.

Un classement injuste

Sans remettre en cause ces ZFE, un outil de santé public destiné à améliorer la qualité de l’air, un rapport sénatorial que révèle Le Figaro renferme diverses propositions pour rendre acceptable ce dispositif. Intitulé «Zones à faibles émissions: sortir de l’impasse», celui-ci vise à mettre en place des règles réalistes pour freiner le trafic routier, responsable de 57 % des émissions d’oxydes d’azote. L’une des mesures proposées consiste à assouplir le système actuel des vignettes Crit’Air accolées sur les pare-brise. Celui-ci permet de classer les véhicules en fonction de leurs émissions polluantes en particules fines et oxydes d’azote.

À l’origine de ce rapport de 150 pages, le sénateur LR, Philippe Tabarot, estime que ce classement est injuste. «Un 4×4 flambant neuf et classé Crit’Air 1 va générer au freinage, en raison de son poids, bien plus de pollution qu’une voiture plus vieille, dotée d’une vignette 3 mais bien entretenue», explique-t-il. Or, selon un implacable calendrier, ces fameuses Crit’Air 3 ne pourront bientôt plus rouler dans certaines ZFE. Le parlementaire suggère une porte de sortie: le contrôle technique, qui porte sur la sécurité de l’automobile, pourrait aussi mesurer le niveau de pollution. «Les véhicules respectant des seuils d’émissions arrêtés par les autorités compétentes pourraient se voir délivrer une vignette “éco-entretien”, permettant de déroger aux restrictions de circulation applicables dans les ZFE», peut-on lire dans le rapport.

Ceux qui défendent coûte que coûte les ZFE mettent en avant des exemples étrangers qui fonctionnent. Mais les règles qui s’y appliquent sont bien plus étalées dans le temps Philippe Tabarot, sénateur LR à l’origine du rapport

Dans le même esprit, Philippe Tabarot propose d’encourager le recours au «rétrofit», des aménagements qui permettent de transformer des véhicules thermiques en véhicules électriques. Des incitations financières devraient être mises en place pour encourager les Français à y recourir. Cette solution permettrait «de réemployer des véhicules encore fonctionnels plutôt que de les mettre au rebut au profit de véhicules neufs», indique le sénateur.

Un report à 2030

L’autre proposition phare porte sur l’assouplissement du calendrier imposé par l’État, tout simplement «intenable» pour le sénateur. Ainsi, dans les onze ZFE déjà en place, les véhicules légers classés Crit’Air 3 ne devront plus circuler en 2025. Philippe Tabarot estime nécessaire de reculer la date à 2030. Pour les 32 ZFE qui doivent voir le jour en 2025, le sénateur propose un report à 2030. «Ceux qui défendent coûte que coûte les ZFE mettent en avant des exemples étrangers qui fonctionnent. Mais les règles qui s’y appliquent sont bien plus étalées dans le temps», fait valoir le parlementaire.

C’est en effet sur le temps long (2017-2036) que Bruxelles compte imposer progressivement des mesures de restriction. «Ce que l’on fait en cinq ans, la capitale belge le fait en vingt ans», souligne l’auteur du rapport. Le dispositif français qui est mis en place à marche forcée devient, selon lui, irréalisable. «Au total, 34 % du parc de véhicules particuliers sera donc concerné par les restrictions de circulation applicables aux véhicules Crit’Air 5 à 3 dans les 11 ZFE. En y ajoutant les Crit’Air 2 dont l’interdiction est prévue par certaines agglomérations dans les prochaines années, c’est plus de 70 % du parc qui est concerné par les restrictions», est-il écrit.

À lire aussiZones à faibles émissions: les élus craignent une «bombe sociale»

Faute de transports en commun suffisamment développés, tous ces véhicules mis sur la touche devront donc être changés. Or, «en l’état, la mise en œuvre des ZFE dans des délais aussi resserrés et sans accompagnement suffisant est de nature à faire porter la contrainte prioritairement sur les ménages les plus modestes», met en garde le rapport. Ainsi, dans le 3e arrondissement de Marseille - arrondissement le plus pauvre de France -, 52 % des véhicules sont classés Crit’Air 5, 4 ou 3 et seront concernés par de futures interdictions.

Avec l’augmentation du nombre de ZFE dont les règles diffèrent d’une ville à l’autre, les difficultés de lisibilité pour les usagers risquent de s’aggraver. Rien que dans la région Hauts-de-France six de ces zones vont bientôt cohabiter. Par souci de clarté, Philippe Tabarot suggère la tenue de conférences régionales chargées d’harmoniser les règles.

Une réponse limitée

Si les ZFE irritent les conducteurs, elles agacent aussi les élus qui dénoncent «un accompagnement défaillant de l’État dans la mise en œuvre et le contrôle des ZFE». Les soutiens financiers de l’État sont, selon eux, insuffisants et les radars promis par le gouvernement toujours absents. «Le ministère de la Transition écologique prévoit à ce jour un déploiement de cet outil d’ici le deuxième semestre 2024. Soit quatre ans de retard», est-il écrit. Compte tenu de cette mise en place laborieuse, Philippe Tabarot estime que la pédagogie auprès des usagers de la route doit primer.

Selon lui, l’amélioration de la qualité de l’air ne doit pas reposer sur les seules épaules fragiles de ces zones à faibles émissions. «Si à l’échelle nationale, le transport routier est responsable de plus de la moitié des émissions d’oxydes d’azote (54 %), les ZFE ne répondent que de façon limitée à l’enjeu de santé publique soulevé par l’exposition aux particules fines, qui proviennent plus majoritairement d’autres secteurs: logement, industrie et agriculture», indique le rapport. En d’autres termes, l’État ne doit pas seulement s’en prendre aux automobilistes.

Source: Le Figaro