" L’apéro, c’est tous les jours "… Quand la consommation d’alcool des Français dépasse les limites

June 14, 2023
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Il était un peu plus de 17 heures quand ils se sont assis à la terrasse d’un bar de la place Sainte-Anne. Pour profiter de cette belle fin de journée, Anatole et Matis ont commandé une pinte de bière fraîche dans laquelle ils piochent régulièrement. Les deux amis ne sont pas les seuls. En ce mardi ensoleillé, la place la plus festive de Rennes est bondée. Alors que l’année scolaire touche à sa fin, la capitale bretonne et ses 70.000 étudiants vont s’agiter jusque tard dans la soirée. Avec à la clé, un bon nombre de pintes, de shots et de ballons de vin engloutis.

La « réputation » de Rennes ne doit pas faire oublier une réalité. Le même soir, un peu partout dans le pays, les Français joueront la même partition dans un joyeux récital de verres qui tintent. Mais à quel prix ? D’après une enquête menée par Santé publique France, 22 % des adultes ont une consommation d’alcool supérieure aux recommandations. Dans le jargon des professionnels de santé, on parle de « plafonds de consommation d’alcool recommandés ». La ligne à adopter : deux verres par jour, pas tous les jours et pas plus de dix verres par semaine. Que ceux qui débordent lèvent la main.

« Je suis à la limite de l’addiction »

Matis fait partie de ceux-là. Du haut de ses 20 ans, l’étudiant livre un regard lucide sur sa consommation. « Pour moi, c’est apéro tous les jours, avec les potes, mes parents. Je sais que j’ai une consommation festive qui est excessive, que je suis à la limite de l’addiction. Je sais aussi que ça a un impact sur ma santé. Je le vois sur ma mémoire par exemple, j’en ai conscience. Mais pour l’instant je profite et on verra plus tard ». Le jeune Rennais est loin des recommandations conseillées par Santé publique France et par l’ensemble des professionnels de santé. Le système de « deux verres par jour et pas tous les jours » a été élaboré en 2017 pour fixer des limites à une population baignée par la culture de l’alcool comme lien social. « La recherche reconnaît que l’alcool est toujours dangereux, peu importe la dose. Il n’y a pas de zéro risque parce que l’alcool est cancérigène, c’est désormais établi. Le repère de deux verres par jour et pas tous les jours a été fixé comme un risque socialement acceptable, quelque chose qui parle aux gens. Au-delà de ces recommandations, on augmente significativement les risques », détaille Guylaine Benech.

A Rennes, la place Sainte-Anne fait partie des lieux festifs. Quand il fait beau, ses terrasses sont bondées, comme ici le 13 juin 2023. - C. Allain/20 Minutes

La consultante en santé publique ne semble pas surprise par les derniers résultats du baromètre. Établie en Bretagne, elle a encore pu constater que sa région, comme celle voisine des Pays-de-la-Loire, était celle où l’on buvait le plus. L’autrice de l’ouvrage Les ados et l’alcool peut cependant se satisfaire d’une donnée extraite de cette enquête : la part des jeunes en excès de consommation a diminué : « Je pense que la connaissance des Français sur les risques de l’alcool s’est améliorée. Il y a dix ans, j’ai l’impression que tout le monde s’en fichait. Avec des événements comme le dry january, on arrive à en parler. On se donne le droit de ne pas boire sans passer pour un rabat-joie. » En France, on estime que l’alcool est la cause de 49.000 morts par an, contre 66.000 pour le tabac.

« Parfois, j’aime l’ivresse, parce que c’est cool »

Sur la place Sainte-Anne, les personnes avec qui nous nous sommes attablées se disaient conscientes des dangers de l’alcool. Mais toutes semblaient « s’en accommoder » en se fixant leurs propres repères. « Moi, je ne peux pas boire tous les jours, je n’aime pas ça. J’aime bien faire la fête le week-end en buvant pas mal de verres. Parfois, j’aime l’ivresse, parce que c’est cool. Mais je fais gaffe parce que je sais que ce n’est pas bien. J’ai l’impression d’avoir pleine conscience de ma consommation », témoigne Anatole, une bière blonde posée devant lui. Jeanne, 19 ans, et Apolline, 18 ans ont commandé un « Monaco », mélange de bière, de limonade et de sirop de grenadine. « On est en terrasse, il fait beau, ça donne envie », explique Jeanne. A 17h30, il était en revanche « trop tôt » pour elles pour se commander une bière. « Depuis que j’ai mon appart, je sors plus. Mais souvent, c’est trois ou quatre verres, parfois quelques shots mais jamais plus. Je ne veux pas finir ivre morte. Et puis en hiver, je sors beaucoup moins. » Jeanne assume parfois de boire des softs en soirée quand elle n’a pas envie de s’alcooliser. Assise en face, son amie Apolline se dit « parfaitement consciente de l’effet de l’alcool sur la santé » : « si je bois à une soirée, c’est certain que je ne bois pas le lendemain. Mon corps ne le veut pas. »

Dans son bulletin hebdomadaire, Santé publique France relève que les comportements dits « à risques » sont plus fréquents chez les garçons (33,5 %) que chez les filles (14,9 %). Un constat qui semble se confirmer à la rencontre de Quentin, Alexandre et Enzo. Ces trois lycéens âgés de 17 ans ont été refusés d’un bar de la place Sainte-Anne parce qu’ils étaient mineurs. Mais ils ont pu se commander une pinte dans le bistrot voisin sans aucun problème. « La semaine, je ne bois pas, sauf aujourd’hui. Mais le week-end, je bois beaucoup. Plus que dix verres en une soirée, ça c’est certain », assure Quentin. Souvent de la vodka coca ou des shots d’alcool fort. Et les risques pour la santé ? « Franchement, je m’en fous des recommandations. Par contre, pour la cigarette, je fais attention, parce que je sais que c’est mauvais pour ma santé ». A ses côtés, son pote Enzo semble un peu plus raisonnable sur la bibine : « je me dis que si ça reste occasionnel, ça va. Autour de nous, tout le monde le fait. » La pression n’est pas que dans les verres. Elle est aussi dans notre rapport à la fête, aux réunions de famille et aux soirées entre potes où « la règle » est à la consommation quasi systématique.

Faut-il augmenter le prix de l'alcool en France ?

Face à ces consommations excessives du week-end, les professionnels de santé tentent de faire entendre leur message : pas plus de quatre verres par soirée et seulement à titre exceptionnel. Une recommandation bien difficile à faire passer dans le brouhaha des bars et des apparts qui accueillent ces jeunes tous les week-ends. Ils espèrent surtout que l’État se décidera un jour à monter un véritable plan de lutte contre la consommation d’alcool, comme ce fut le cas pour le tabac. Et surtout qu’un choix politique fort sera réalisé en augmentant singulièrement le prix de l’alcool. « Tout le monde sait que ce serait efficace pour faire diminuer la consommation. Toutes les études menées dans d’autres pays le montrent ».

En 2018, l’Ecosse, pourtant réputée pour son whisky et sa bière, avait imposé un prix plancher à 50 centimes par unité d’alcool (soit environ 10 ml). D’après une étude publiée dans The Lancet, la mesure aurait permis d’éviter environ 150 décès par an. Pas négligeable dans le territoire possédant le plus fort taux de mortalité lié à l’alcool du Royaume-Uni. Mais la France y est-elle prête ?

Source: 20 Minutes