" La Paix ou la guerre " : Mikhaïl Chichkine fait voler en éclats le mensonge russe
Un ruban vert, signe du mouvement antiguerre, sur un pont de Moscou, le 19 juin 2022. PAVEL MIRNY
« La Paix ou la guerre. Réflexions sur le “monde russe” » (Frieden oder Krieg), de Mikhaïl Chichkine, traduit de l’allemand par Odile Demange, Noir sur blanc, 206 p., 21,50 €, numérique 16 €.
Rien ne paraît joyeux comme la couverture de ce livre sombre, le plus désespéré sans doute du grand écrivain russe Mikhaïl Chichkine. Un petit garçon, sourire radieux aux lèvres, joue de l’accordéon déguisé en soldat de l’Armée rouge. A sa boutonnière, le ruban de Saint-Georges, devenu l’emblème de la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie. On peut imaginer autour de lui une rue pavoisée, la liesse qui accompagne partout le retour de la paix et la liberté retrouvée, sauf que tout est faux, d’une fausseté multiple, en cascade.
Ce n’est pas un enfant de l’après-guerre : la photographie a été prise de nos jours, à l’heure des mensonges mémoriels de Vladimir Poutine. Et que s’est-il passé à la fin de la Grande Guerre patriotique, comme on dit en Russie ? Où était la joie, où était la liberté, pour un peuple emprisonné et massacré par ses maîtres avant de l’être par l’ennemi, et qui allait de nouveau subir l’oppression, malgré le courage, malgré la victoire ? Rarement une couverture aura exprimé à ce point la réalité d’un livre. La Paix ou la guerre, recueil d’essais sur le présent, le passé et l’avenir, ou l’absence d’avenir, de la Russie, paraît naître tout entier de la mélancolie qui, au bout du compte, emporte ce visage d’enfant. Il l’intensifie. Il la rend explosive.
Des siècles d’acceptation du mensonge
« Les meilleurs des termes, les plus beaux, écrit Mikhaïl Chichkine, perdent leur sens devant un décor russe. » Il faut que le décor vole en éclats. Il faut que la Russie brûle, martèle-t-il, et avec elle des siècles de mensonge et d’acceptation du mensonge, d’abaissement face au mensonge. Dans les ruines, peut-être, une autre Russie, enfouie, un vieil élan brisé par l’empire, par le communisme, par leur double héritier Poutine, se réveillera, et c’est toute la force de ce grand livre de colère, de maintenir ouverte la possibilité, ou le rêve, d’une renaissance.
Il n’y a pas eu de Nuremberg du totalitarisme soviétique, pas d’épuration parmi les bourreaux, rappelle Mikhaïl Chichkine
Cette autre Russie, Mikhaïl Chichkine l’a connue. En août 1991, alors que des putschistes tentent de rétablir l’ordre soviétique dans l’URSS finissante – elle disparaîtra en décembre –, il est dans la foule rassemblée à Moscou pour défendre la perestroïka. Trois jeunes gens meurent sous les balles. Mais le putsch échoue et l’espoir que c’en soit fini pour jamais de la terreur devient tout-puissant. « Nous étions convaincus, écrit-il, que c’était le dernier sang qui coulerait dans notre pays. Malheureusement, ce n’était que le premier sang de la nouvelle Russie. »
Il vous reste 65.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Source: Le Monde