“Il y a un décalage énorme entre la notoriété de Jean-Pierre Léaud et sa vie matérielle difficile”

June 15, 2023
476 views

L’acteur fétiche de François Truffaut, Jean-Pierre Léaud, se trouve dans une situation morale et financière difficile, a alerté son ami Serge Toubiana, qui appelle à l’aide le monde du cinéma.

Jean-Pierre Léaud en 2016. Photo Richard Dumas pour Télérama

Par Jérémie Couston Partage

LinkedIn

Facebook

Twitter

Envoyer par email

Copier le lien

Parmi les films de Jean Eustache qui viennent de ressortir en salles en versions restaurées, on peut revoir Le Père Noël a les yeux bleus (1966), avec le divin Jean-Pierre Léaud qui travaille comme Père Noël, dans les rues de Narbonne, pour pouvoir se payer un duffle-coat… Ironie du destin, l’acteur iconique de la Nouvelle Vague, qui vient d’avoir 79 ans, traverse une mauvaise passe, cette fois-ci dans la vie, la vraie. Sa détresse morale et financière a même conduit son ami intime, Serge Toubiana, par ailleurs président d’Unifrance et biographe de François Truffaut, à se mobiliser pour lui venir en aide. Il nous explique la situation.

Quand avez-vous appris les difficultés de Jean-Pierre Léaud ?

Il y a eu une première alerte en septembre 2022, peu de temps après la mort de Jean-Luc Godard. Il m’avait appelé en sanglots. Il n’arrivait pas à parler tellement il était sous le choc. J’ai essayé de lui remonter le moral au téléphone, à plusieurs reprises. Puis, en mai dernier, à mon retour du Festival de Cannes, j’ai reçu plusieurs messages alarmants de Jean-Pierre me demandant de le rappeler en urgence. Quand j’ai pu lui parler, j’ai senti qu’il fallait que j’aille le voir. Je lui ai donc rendu visite dans l’appartement qu’il partage avec Brigitte [Duvivier, sa femme], près de la place Monge, à Paris. J’ai tout de suite perçu leur détresse morale et leur grande fatigue physique. Lui ne pouvait plus se lever pour sortir prendre l’air dans un quartier qu’il adore. Elle m’a dit son épuisement à s’occuper de son mari jour et nuit.

Comment leur remonter le moral ?

Je leur ai demandé ce qui leur ferait plaisir. J’ai un peu amorcé la question des vacances. Ils m’ont parlé de la Crète, où ils ont l’habitude d’aller. « Mais nous n’avons pas un sou », m’ont-ils dit. Brigitte a eu un accident de voiture et souffre de la jambe. Elle a besoin de nager. Ma réaction immédiate a été de lui permettre d’aller nager dans son endroit préféré pour qu’elle soit plus forte pour s’occuper de Jean-Pierre. À mon initiative et en toute discrétion, j’ai écrit un message très simple décrivant leur situation, message que j’ai envoyé à cent cinquante personnalités du cinéma qui sont dans mon carnet d’adresses. Une opération d’amitié et de générosité. Les gens ont très bien réagi et continuent de réagir. J’ai reçu des chèques et des virements : en quelques jours, plus de 20 000 euros de dons, que j’ai aussitôt transmis à Jean-Pierre et Brigitte. Puis j’ai pensé à prévenir aussi Armand Hennon, un homme remarquable qui gère le site des Amis de François Truffaut. Je l’ai très vite convaincu de prendre le relais et de mettre en place une cagnotte pour Jean-Pierre, afin que ses fans, ses amis, ses admirateurs, en France et à l’étranger, puissent lui venir en aide à leur tour avec des sommes qui peuvent être très modiques.

Comment expliquez-vous la situation financière de Jean-Pierre Léaud, un comédien si populaire ?

Elle est, hélas, assez fréquente chez les acteurs de son âge. Ces dernières années, sa filmographie est très clairsemée. Cela tient bien sûr à son état psychique, moral et physique. Sauf miracle, il ne tournera plus. Il ne bénéficie plus du statut d’intermittent du spectacle. Sa retraite est apparemment très faible, peut-être ne s’en est-il pas occupé, il faut qu’on mette de l’ordre dans ses papiers. Brigitte a une retraite de prof de lettres. Cela leur permet de vivre très humblement. J’ai alerté le cabinet de la ministre de la Culture et je vais écrire au CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée, ndlr]. Jean-Pierre est l’une des dernières icônes du cinéma français. Quand La Maman et la Putain, de Jean Eustache (1973), est ressorti l’année dernière, plein de jeunes cinéphiles ont découvert son immense talent. Mais en tant que comédien, Jean-Pierre ne touche rien sur ces anciens films. Il n’a des droits d’auteur que sur la série des Antoine Doinel [Les Quatre Cents Coups, Antoine et Colette, Baisers volés, Domicile conjugal, L’Amour en fuite, ndlr] car François Truffaut y a veillé, avant de mourir. Moi qui suis très ami avec lui depuis quarante ans, je vois le décalage énorme entre sa notoriété, en France et dans le monde, et sa vie matérielle difficile. Nous allons donc nous organiser pour que Jean-Pierre et Brigitte partent en vacances et pour structurer l’aide afin qu’elle devienne pérenne et change un peu leur vie quotidienne. « J’ai beaucoup donné au cinéma », m’a dit Jean-Pierre l’autre jour. Il est sans doute temps que le cinéma lui rende un peu de sa générosité.

Source: Télérama.fr