" Là, je panique totalement " : quand les AirTag d’Apple sont utilisés pour espionner des femmes

June 16, 2023
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Une technologie numérique utilisée à des fins malveillantes ? Cette semaine, une jeune femme a raconté sur Twitter avoir été, avec l’une de ses amies, victime d’un pistage au moyen d’un AirTag, balise de localisation d’Apple. Ce vendredi, son tweet était devenu viral avec plus de 4 millions de vues.

« Je revenais de la salle de sport et je passe par un parc, raconte Diana, accompagnée de son amie, interrogée dans l’émission « Touche pas à mon poste » mercredi. Là, Morgane m’appelle et pour passer le temps je m’assois sur un banc. Là un homme s’approche de moi. Il va se pencher pour voir mon visage sous ma casquette… C’est le premier contact que j’ai avec lui ».

LES PARISIENNES

faites MEGA attention avec les airtags, on m’en a mis un dessus dans le 16e y a qql jours, et là c ma pote qui vient d’en retrouver un sur elle en rentrant de la SALLE DE SPORT, ils recommencent en balle avec ça faites super attention les chiens sont de sortie pic.twitter.com/abmpKcnuxH — Wen 🍎 (@_wenartica) June 12, 2023

Puis, l’homme revient. « C’est clairement une excuse, se remémore la jeune femme. Il arrive pour me demander l’heure alors qu’il avait le téléphone dans les mains… » Quelques minutes plus tard, troisième interaction : « Il arrive derrière moi et me demande si tout va bien et si j’ai besoin de quelque chose. Je lui dis non, puis je me dis qu’il est temps de partir ».

« Je panique totalement »

Arrivée chez elle, Diana reçoit une notification lui indiquant qu’elle a un AirTag sur elle, qui retransmet sa localisation en direct. « C’est hyperanxiogène (…) Là, je panique totalement », raconte-t-elle. Elle trouve l’objet en le faisant émettre un son grâce à l’application « Localiser », puis le jette « du treizième étage ». Problème : « La localisation est toujours d’actualité même si on le casse, grâce au dernier point de localisation ». Apeurée, elle demande à son frère de se rendre en bas de l’immeuble.

Arrivé en bas, celui-ci l’appelle pour lui dire qu’il se trouve face à « un homme qui ressemble mot pour mot à la description » qu’elle lui a faite. Selon Diana, son frère aurait alors demandé des explications à l’inconnu, avant qu’une altercation n’éclate entre les deux hommes. La jeune femme déclare ne pas vouloir porter plainte, « par peur de ne pas être crue ». Depuis, des internautes alertent sur l’utilisation détournée de ce gadget pour géolocaliser les femmes à leur insu, dans la rue voire jusqu’à leur domicile.

Commercialisé en 2021, le AirTag est présenté par Apple comme « l’accessoire tout trouvé pour tout retrouver ». Grâce à l’application « Localiser », disponible sur tous les iPhone qui disposent des dernières versions d’IOS, le propriétaire de cette balise peut « facilement repérer ses objets ». Ainsi, accroché à des clés par exemple, l’AirTag peut éviter quelques mauvaises surprises aux étourdis.

Utilisation dévoyée

Son usage serait-il détourné ? « Les AirTags facilitent indéniablement l’espionnage des femmes puisqu’ils sont peu chers (disponibles à partir de 39 euros, NDLR) et facilement accessibles », relève Jean-Jacques Latour, directeur expertise cybersécurité chez cybermaveillance.gouv. Matthieu Audibert, officier de gendarmerie et doctorant en droit privé et sciences criminelles, a réagi sur Twitter au témoignage de Morgane en évoquant un « exemple parfait du dévoiement d’une technologie numérique à des fins de cyberviolence (…) voire pire », précisant que « l’emploi d’un AirTag à l’insu de la personne suivie est illégal ».

Les AirTag..

L’exemple parfait du dévoiement d’une technologie numérique à des fins de cyberviolence (l’emploi d’un AirTag à l’insu de la personne suivie est illégal) voire pire.. https://t.co/rXMy8S8oZl — Matthieu Audibert (@MattAudibert) June 13, 2023

D’après l’article 226-1 du Code pénal, l’atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui « au moyen d’un procédé quelconque », qui constitue un délit, est punie d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. Contactés, les services de police affirment ne pas avoir noté d’augmentation notable de plaintes concernant ce phénomène. Sollicité par Le Parisien-Aujourd’hui-en-France, Apple déclare pour sa part que le « AirTag a été conçu pour aider les gens à savoir où se trouvent leurs effets personnels, et non pour pister les personnes ou les biens d’autrui. Nous condamnons avec la plus grande fermeté tout usage malveillant de nos produits. »

De précédents cas aux États-Unis

Ce n’est pas la première fois que l’utilisation malintentionnée de ce petit gadget est pointée du doigt. Aux États-Unis, l’année dernière, l’AirTag s’est retrouvé au cœur d’affaires de harcèlement. En juin 2022 par exemple, la chanteuse américaine Alison Carney avait retrouvé cet objet, qui ne lui appartenait pas, dans son sac. Le propriétaire n’était autre que son ex-petit ami, qu’elle accusait déjà de faire irruption dans des endroits où elle se trouvait sans l’avoir prévenu. « C’est devenu évident que je n’étais pas folle. Je savais que quelqu’un me suivait », avait-elle déclaré.

Une enquête de Motherboard en avril 2022 révélait que l’AirTag était impliqué dans plus de 150 affaires de ce type, rien qu’Outre-Atlantique. Certaines avaient viré au drame. Dans l’Indiana, un homme de 26 ans avait été tué par sa petite amie qui le pistait via un AirTag car elle le soupçonnait d’être infidèle.

Lutte contre ce phénomène

Plusieurs femmes américaines avaient alors décidé d’entamer une procédure en justice contre Apple. La marque à la pomme avait à l’époque condamné dans un communiqué « avec la plus grande fermeté tout usage malveillant » et avait promis des mises à jour. Les récents témoignages, cette fois en France, ont relancé le débat sur la dangerosité de cet accessoire.

En mai dernier, Apple et Google ont conjointement présenté « une proposition de cahier des charges industriel pour lutter contre l’utilisation abusive des appareils de géolocalisation Bluetooth à des fins de pistage indésirable », permettant à ces derniers « d’être compatibles avec la détection et les alertes de pistage sur les plateformes iOS et Android ». L’objectif est d’harmoniser les alertes de pistage sur chaque système d’exploitation.

Les deux géants du numérique ont assuré avoir « le soutien » d’autres fabricants d’accessoires similaires, tels que Samsung, Tile, Pebblebee ou encore Chipolo. Ce cahier des charges, s’il est validé par l’IETF, devrait entrer en vigueur d’ici fin 2023.

Comment réagir ?

Comment détecter la présence d’un AirTag qui n’est pas le vôtre ? Apple a mis en place plusieurs fonctionnalités « pour empêcher quiconque de vous suivre à votre insu ». En activant sur votre iPhone la fonction « Localiser » par exemple, vous recevrez une notification si un appareil étranger est détecté à proximité. Mais cette alerte peut se déclencher seulement au bout de plusieurs heures. Il est également possible que, si l’AirTag est séparé de son propriétaire initial un certain temps, il émette un signal sonore. La personne sur qui il a été placé sera ainsi en mesure de le repérer.

Si vous découvrez un AirTag dans vos affaires, Apple recommande de se rendre dans un lieu public sécurisé et d’appeler les autorités. Enlever la pile de l’appareil ou le détruire ne servirait à rien puisque la balise conserverait en mémoire le dernier endroit où il a été localisé. Si vous déposez plainte, la firme américaine précise qu’elle communiquera aux forces de police les informations nécessaires aux besoins de l’enquête.

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Source: Le Parisien