" Tout le monde ne pourra pas s’adapter " : à Madagascar, le changement climatique ébranle les paysans des Hautes Terres

June 16, 2023
477 views

Fin mai, la récolte du riz se termine dans la région de Betafo, à Madagascar. LAURENCE CARAMEL

Sur les Hautes Terres centrales de Madagascar, les paysages de rizières dessinés au cordeau semblent laisser peu de prise au hasard. Dans ces derniers jours de mai, alors que s’attardent les ultimes pluies de l’été austral, la récolte prend fin et les batteuses tournent à plein pour séparer le grain qui bientôt séchera devant de grandes fermes en briques. Les étroites parcelles se remplissent déjà d’autres cultures. Dans quelques semaines, elles donneront à ces austères sols noirs, les plus fertiles et les plus densément peuplés du pays, des allures d’exubérant potager.

A plus de 1 500 mètres d’altitude, dans la campagne de Betafo, au cœur de la région de Vakinankaratra, fief d’anciens royaumes betsileo et merina, l’ordre n’est pourtant qu’apparent. Comme ailleurs dans la Grande Île, le changement du climat fait sa loi, déstabilisant la production de la principale céréale du pays. Les pluies d’octobre, qui donnaient le coup d’envoi de la grande saison du riz, arrivent de plus en plus tard, jusqu’à faire glisser le calendrier des premiers semis en janvier. Un dérèglement qui a poussé les cultivateurs qui le peuvent à adapter leurs pratiques.

La menace liée à l’évolution erratique du climat n’est pas ici aussi spectaculaire que sur la côte orientale de l’île, où les cyclones frappent, de plus en plus puissants. Mais elle s’est installée et efface progressivement les repères. « L’eau manque en hiver, nous subissons des chaleurs que nous n’avions jamais connues, de nouveaux insectes détruisent nos cultures », résume Martin Rakoto, président local de l’organisation paysanne Fifata, qui rassemble 2 300 membres dans la région, en citant le cas de la chenille légionnaire, apparue il y a cinq ans dans la région de Morondava, le long du canal du Mozambique, et désormais présente dans leurs champs. « Personne n’aurait pu imaginer cela. »

Le « petit rouge », une semence délaissée

« Nous avons été surpris cette année. Après cinq ans de sécheresse, les pluies sont tombées de bonne heure. C’était imprévisible et nos pépinières n’étaient pas prêtes », poursuit Martin Rakoto. Le sourire se lit malgré tout sur le visage du notable, car, pour finir, la récolte a été bonne, après de piètres années. Les greniers sont remplis de riz mais aussi de pommes de terre, l’autre plante sur laquelle repose pour beaucoup le revenu des paysans.

Inquiets, les agronomes suivent l’évolution de la situation de la principale zone de production rizicole du pays en se raccrochant aux maigres données climatologiques à leur disposition. « Depuis les années 1960, les températures moyennes ont augmenté d’environ 1,5 °C sur les Hautes Terres centrales. Les grands froids avec des températures négatives, importantes notamment pour le rendement des arbres fruitiers, ont presque disparu. Les pluies, si elles restent abondantes, ont baissé de 15 % sur la même période et sont marquées par des irrégularités fortes en début de saison. En hiver, le manque d’eau rend plus difficiles les cultures de contre-saison », observe Bertrand Muller, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), coordinateur du projet d’adaptation au changement climatique baptisé Dinaamicc, financé par l’Union européenne.

Une dizaine d’institutions scientifiques, dont le centre malgache de recherche agronomique Fofifa, d’ONG de développement et d’organisations paysannes sont engagées dans ce programme de recherche participative dont l’objectif est de trouver des solutions susceptibles d’aider les petites exploitations familiales à mieux encaisser le choc climatique.

Un cultivateur de riz, membre de l’organisation paysanne Fifata, dans la région de Betafo, à Madagascar. LAURENCE CARAMEL

Andrianarinjaka Radoniaina, que tous appellent « Rado », fait partie de ces jeunes paysans que l’expérimentation n’effraie pas. Membre de Fifata et président d’une petite coopérative, il a reçu plusieurs formations qu’il s’applique à mettre en pratique en prêchant autour de lui le changement. Dans des bouts de parcelles, il a testé des variétés de riz élaborées en laboratoire, capables d’arriver à maturité plus rapidement pour contrer le raccourcissement de la saison des pluies. Il a aussi adopté une semence traditionnelle délaissée, le « petit rouge », qui offre les mêmes propriétés. « Il faut faire des choix, même si cela ne marche pas toujours », professe-t-il avec un air satisfait.

Des haies pour fixer les sols érodés

Prendre des risques lui a jusqu’à présent plutôt réussi. A 30 ans, Rado possède 58 ares de rizières, 1,5 hectare sur les versants destiné à des cultures pluviales, deux vaches laitières… Il produit des semences de pommes de terre et sa ferme, convertie à l’agroécologie, tient lieu de vitrine des pratiques qu’il faudrait pouvoir généraliser alentour. Des arbres ont été plantés. Des haies de téphrosia et de tithonia, dont les fleurs jaunes ressemblent à de grosses marguerites, ornent désormais les pourtours de ses rizières pour fixer des sols érodés, retenir l’humidité et fournir de l’engrais.

Les trois heures de charrette sur une piste accidentée qu’il doit parcourir plusieurs fois par semaine pour vendre ses légumes et son riz au marché de Betafo entament à peine son optimisme. Même s’il concède, comme tous les habitants reclus de cette région enclavée : « La route, c’est ce qui nous manque le plus. »

« La diversification des cultures, les pratiques agroécologiques et l’adoption de semences de riz à cycle court et “ plastiques ” au sens de pouvoir supporter l’ abondance d’eau comme des pénuries temporaires, sont certainement les meilleures options face au dérèglement climatique. Cependant tout le monde ne pourra pas s’adapter. La majorité des exploitations des Hautes Terres ne dépassent pas 0,5 hectare, une superficie insuffisante pour pouvoir déployer des stratégies d’adaptation et à peine assez grande pour nourrir des familles de six personnes en moyenne. Cette réalité foncière enferme la plupart des paysans dans la pauvreté », constate Bertrand Muller.

Les paysages verdoyants masquent une réalité qui n’a souvent rien à envier à celle, plus médiatisée, du Grand Sud et de ses famines répétées. Plus de 60 % des enfants de moins de 5 ans souffrent ici de retard de croissance.

L’autosuffisance alimentaire reste cependant l’objectif que les gouvernements successifs se promettent d’atteindre, même si jusqu’à présent, la croissance démographique continue d’augmenter plus vite que la production de riz, dont la majorité des Malgaches se nourrissent trois fois par jour. Le ministère de l’agriculture mise depuis 2019 sur l’introduction d’un riz hybride chinois – résistant à la sécheresse – et au rendement quasi miraculeux de 10 tonnes à l’hectare, soit trois fois plus que le riz traditionnel.

La solution laisse cependant sceptiques nombre d’experts en raison du prix élevé des semences – commercialisées par une société privée chinoise – et de la quantité d’engrais nécessaire pour obtenir ces rendements. En attendant, les besoins d’importation en riz – avec un chiffre record de 750 000 tonnes en 2022 – ne cessent de se creuser.

Source: Le Monde