Éboulement en Suisse : "À haute altitude dans les Alpes, on a beaucoup de processus nouveaux qui peuvent être porteurs de risques", explique un chercheur

June 16, 2023
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Le géomorphologue Ludovic Ravanel a expliqué sur franceinfo ce vendredi les conditions de l’éboulement d’un pan de montagne en Suisse, "à un cheveu près" du village de Brienz.

Ludovic Ravanel, géomorphologue, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Edytem en Savoie, décrypte sur franceinfo vendredi 16 juin ce qu’il s’est passé lors de l’éboulement d’un pan de montagne près du village de Brienz en Suisse, la nuit dernière. "On ne peut pas incriminer directement le réchauffement climatique", souligne-t-il.

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Franceinfo : Est-ce qu'on sait à quoi est dû l'éboulement de Brienz ?

Ludovic Ravanel : Cela fait déjà des dizaines, voire des centaines d'années que l’on s'attendait à sa survenue. Ce site est extrêmement instable, sur près de trois kilomètres carrés. On a un environnement de 100 à 200 millions de mètres cubes qui bougent sur ce site. Ce mouvement est lié à la structure géologique. Et sur ces vallées alpines qui étaient couvertes de glace lors des dernières périodes glaciaires, le glacier a créé ce qu'on appelle une décompression qui a décomprimé les versants, ce qui a préparé ces grandes instabilités. Il suffit ensuite de rajouter un peu d'eau dans les terrains, et c'est le cas notamment au printemps, quand la neige fond, pour que tout parte.

Est-ce qu'il y a un lien avec le réchauffement climatique ?

Le lien n'est pas direct à ces altitudes. Plus haut en altitude, au-delà de 2 500, 3 000 mètres d'altitude, on a un problème de permafrost, c'est-à-dire de dégel de terrains gelés en permanence. Dans le cas de cet éboulement, la crête du secteur rocheux qui s'est déstabilisée est entre 1 500 et 1 700 mètres d'altitude, c'est-à-dire que ce n'est pas gelé du tout. En tout cas, cela a dégelé depuis très longtemps. On ne peut donc pas incriminer directement le réchauffement climatique, contrairement à plein d'autres phénomènes. Par exemple, il y a quelques jours, pas très loin de là en Autriche, environ 100 000 mètres cubes de roches sont tombés. Et là, pour le coup, le lien avec le réchauffement climatique est direct. Mais pour le cas de Brienz, ce n'est pas direct.

Ailleurs dans le massif des Alpes, ce phénomène est à l'œuvre. Pourquoi ? Est-ce parce que la glace agit comme une colle ?

Tout à fait. À haute altitude et dans les Alpes, on a quand même beaucoup de secteurs qui dépassent 3 000, 3 500, voire 4 000 m d'altitude, où l’on a ce que l'on appelle le permafrost. Ce sont des terrains gelés en permanence, qu'on connaît bien à haute latitude, mais qu'on a également à haute altitude. Ce permafrost permet la présence de glace dans les fissures, c'est une glace qui a plusieurs milliers d'années et qui aujourd'hui a un rôle de ciment. On parle de béton de glace ou encore de ciment de glace.

Avec le changement climatique, ce ciment de glace dégèle de plus en plus profondément. Et on assiste à la fois à une augmentation de la fréquence des déstabilisations rocheuses- que l’on va appeler généralement éboulements, écroulements - et puis une augmentation des volumes. Toujours pas très loin de Davos, à la fin de l'été caniculaire de 2017, c'est plus de trois millions de mètres cubes qui sont tombés ; donc plus important encore que ce qui est tombé la nuit dernière. Cela a créé une coulée boueuse de près de six kilomètres qui est arrivé au niveau du village de Bondoun. Près de cent bâtiments a été détruits ou très endommagés.

La montagne change de visage. Est-ce que c'est un nouveau danger qu'il faut prendre en compte ?

Oui, il y a en effet des dangers nouveaux qui viennent à poindre en haute montagne. C'est d'ailleurs ce que l'on appelle au niveau ministériel des "ROGP", des risques d'origine glaciaire et périglaciaire. Le ministère de l'Environnement a développé un plan d'action par rapport à ces questions qui affectent les parois rocheuses, mais également les glaciers. Au niveau de ces glaciers, on a toute une série de nouveaux risques, avec des poches d'eau qui se vidangent, des glaciers qui se déstabilisent.

"D'une manière générale, à haute altitude dans les Alpes, on a beaucoup de processus nouveaux qui peuvent être porteurs de risques, à la fois pour les alpinistes, mais également pour les infrastructures, voire même les vallées". Ludovic Ravanel, géomorphologue franceinfo

Est-ce qu'à terme, il faut imaginer de fermer certains secteurs en montagne ?

Des fermetures temporaires et locales ne sont pas du tout exclues. Aujourd’hui, la sensibilisation des alpinistes et des randonneurs, s'améliore. Par eux-mêmes, ils sont susceptibles d'éviter les endroits les plus dangereux. À l'été 2022, où on a eu des conditions absolument terribles en haute montagne, on a observé une accidentalité relativement réduite parce que les alpinistes ont su s'autogérer, de par les connaissances plus largement diffusées.

Source: franceinfo