Guerre en Ukraine : la difficile tentative de médiation des chefs d’Etat africains

June 19, 2023
478 views

De gauche à droite : les présidents Azali Assoumani (Comores), Volodymyr Zelensky (Ukraine) et Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), à Kiev, le 16 juin 2023. SERGEI SUPINSKY / AFP

Un refus franc de Volodymyr Zelensky, une attention polie mais sans engagement de Vladimir Poutine. En quarante-huit heures de déplacement, en train et en avion, entre Kiev et Saint-Petersbourg, les quatre chefs d’Etat africains ayant participé à la tentative de médiation entre la Russie et l’Ukraine ont pu mesurer la difficulté de soumettre un plan de paix à deux belligérants qui, dans leurs déclarations publiques et dans leurs actes, ne semblent en l’état pas prêts à céder quoi que ce soit.

« La guerre ne peut pas durer toujours […] Nous souhaitons que cette guerre prenne fin », est venu plaider à Saint-Pétersbourg, samedi 17 juin, devant M. Poutine, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, accompagné de ses pairs sénégalais, comorien et zambien, après que les chefs d’Etat du Congo-Brazzaville, d’Egypte et d’Ouganda ont décidé in extremis de se faire représenter.

La délégation africaine, porteuse d’un plan de paix en dix points prévoyant notamment une « désescalade des deux côtés », la « reconnaissance de la souveraineté » des pays telle que reconnue par l’ONU, des « garanties de sécurité » pour toutes les parties, la levée des entraves à l’exportation des céréales via la mer Noire ou la « libération des prisonniers de guerre », n’a pas obtenu une fin de non-recevoir directe de la Russie. A l’issue de la rencontre, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a indiqué que « le président Poutine a manifesté son intérêt » pour une proposition qui reste selon lui « très difficile à mettre en œuvre ».

Une « approche équilibrée »

Saluant « une approche équilibrée de nos amis africains envers la crise ukrainienne », M. Poutine s’est surtout attaché, devant ses invités, à démontrer que le refus de dialoguer venait de Kiev. « Ce n’est pas nous, mais le pouvoir ukrainien, qui a affirmé qu’il ne mènerait aucune négociation, a-t-il dit à son homologue sud-africain. Je comprends votre préoccupation, je la partage et nous sommes prêts à étudier toutes les propositions. Mais la partie ukrainienne ne le veut pas. »

A l’appui de ses propos, le président russe a exhibé un document présenté comme datant de mars 2022 et qui aurait selon lui été « paraphé » par des représentants ukrainiens. A l’époque, les deux pays menaient des discussions de paix à Istanbul et, selon M. Poutine, Kiev aurait consenti à la plupart des exigences russes avant d’envoyer cet accord « dans les poubelles de l’histoire » après le retrait des troupes russes des régions de Kiev et Tchernihiv, manœuvre présentée comme un « geste de bonne volonté » mais qui faisait surtout suite à une série de revers militaire et a permis de révéler les atrocités commises dans plusieurs localités du nord de l’Ukraine.

Vendredi, à Kiev, Volodymyr Zelensky avait pour sa part opposé un refus plus net à la demande de « désescalade » formulée par M. Ramaphosa. « Aujourd’hui, j’ai clairement dit pendant notre rencontre que permettre toute négociation avec la Russie maintenant, quand l’occupant est sur notre terre, signifie geler la guerre, geler la douleur et la souffrance. La Russie en profitera pour devenir plus puissante, s’armer encore plus et agresser encore plus l’Ukraine. »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’intenable proximité sud-africaine avec la Russie Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections Pour ajouter l’article à vos sélections

identifiez-vous S’inscrire gratuitement

Se connecter Vous possédez déjà un compte ?

Entre Pretoria et Kiev, la confiance reste à construire. Après la visite des présidents africains à Boutcha, vendredi, M. Ramaphosa avait refusé de condamner les crimes commis dans cette ville par les troupes russes. « On a vu ce qui s’est passé là-bas. On m’a dit qu’il y avait une enquête en cours. Je pense que cette procédure doit se poursuivre », s’est limité à déclarer le chef d’Etat sud-africain, dont le pays s’est toujours refusé à condamner l’invasion de l’Ukraine devant les Nations unies et dont le parti, le Congrès national africain (ANC), ruiné, a reçu en mars un don de 826 000 dollars (755 000 euros) d’un oligarque russe.

Quelques instants plus tôt, des membres de sa délégation avaient suggéré que les missiles tombés sur Kiev au moment du passage du cortège des chefs d’Etat n’avaient peut-être pas été tirés par la Russie.

Offensive diplomatique

Alors que la cheffe de la diplomatie française est attendue lundi et mardi en Afrique du Sud, les Etats-Unis se sont récemment inquiétés d’un rapprochement entre Pretoria et Moscou. L’ambassadeur américain sur place, Reuben Brigety, a ainsi accusé en mai le gouvernement sud-africain d’avoir livré en décembre des armes à la Russie.

Cependant, si Moscou mène ces dernières années une offensive diplomatique sur le continent africain afin de renouer les amitiés perdues avec la fin de l’Union soviétique, le Kremlin n’a pas fait ici de geste concret permettant aux chefs d’Etat africains de pouvoir mettre en avant un premier acquis, même sur la question du blocage des exportations de céréales, qui touchent directement le continent.

« Ce serait une fausse impression que de considérer cette mission comme un échec, tempère un membre de la délégation. Il y a les déclarations publiques, mais en privé, les propos sont plus ouverts. Il est notable que Poutine reconnaisse la souveraineté des Etats selon la charte des Nations unies et il a accepté certains des souhaits exprimés par Zelensky, » poursuit cette source, sans préciser lesquels. « Ce n’est que le début d’un processus passant par l’Afrique », dit-elle, alors que les sept chefs d’Etat qui auraient dû participer au voyage devraient se retrouver en visioconférence pour une première évaluation lors de la première semaine de juillet.

Pour Vladimir Poutine, le temps presse s’il veut effectuer un geste significatif en direction du continent, alors que le sommet Russie-Afrique est prévu à Saint-Petersbourg du 26 au 29 juillet. Une rencontre qu’il entend utiliser comme une démonstration de l’extension de ses relations avec l’Afrique, « une priorité de la politique étrangère » russe, a-t-il encore rappelé en dépit de son invasion de l’Ukraine.

Source: Le Monde