Salon du Bourget : Venturi réinvente la roue pour décrocher la Lune

June 19, 2023
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Votre mission, si vous l’acceptez, est de concevoir une roue pour un rover lunaire capable de : fonctionner en l’absence d’atmosphère, soutenir un poids de deux tonnes tout en roulant jusqu’à 20 km/h, ne jamais crever, endurer les radiations et des températures extrêmes du pôle sud de la Lune, le tout en ayant une durée de vie d’au moins 1 000 kilomètres. C’est ce défi à faire trembler les centres de R&D qu’a relevé Venturi.

Ce groupe monégasque familier des défis technologiques (voir encadré) s’est lancé dans l’aventure spatiale avec l’ambition de concevoir un rover modulaire capable d’emporter jusqu’à 1,5 tonne de charge utile et de transporter deux astronautes. Baptisé Flex, ce véhicule doit débarquer courant 2026-2027 sur la Lune à bord du Starship de SpaceX.

L’expérience d’un équipementier

Au salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, Venturi est venu présenter une roue spécialement conçue pour le Flex. Son design ne ressemble à rien de ce qu’on a vu jusqu’ici dans le domaine de la mobilité spatiale. « Par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à présent, il y a un vrai saut de performance », nous a assuré Antonio Delfino.

Ce docteur en physique diplômé de l’École polytechnique fédérale de Lausanne est le directeur et cofondateur de Venturi Lab, la filiale suisse de Venturi qui a la charge de plusieurs parties critiques du river, dont les roues. Antonio Delfino a longtemps travaillé chez Michelin au département de chimie et physique où il a participé au développement de plusieurs technologies clés (pile à combustible, le pneu Airless notamment). Une expérience de l’automobile qui lui a été précieuse pour ce projet de roue spatiale.

Une roue hyper déformable inspirée de l’automobile

La structure de la roue Venturi est à la fois complexe et très simple dans son principe. Elle se compose d’une bande de roulement en aluminium fin, doublée à l’intérieur par une enveloppe faite d’un mélange élastomère présenté comme « unique au monde ». C’est ce matériau qui va permettre à la roue d’avoir un contact efficace avec le sol en épousant le relief. Il a été spécialement conçu par Antonio Delfino et son équipe pour résister aux températures extrêmes que la roue Venturi devra affronter sur la Lune.

Cette bande de roulement est reliée au moyeu (composé de plusieurs couronnes en aluminium) par 192 câbles métalliques tressés qui vont apporter à la fois la flexibilité et la rigidité nécessaires. Sur la partie de la roue qui est en contact avec le sol, les rayons vont se détendre tandis qu’au même moment, les rayons dans la partie supérieure vont se tendre grâce à des ressorts. Disposés sur quatre rangées selon des angles différents, les câbles doivent répondre aux contraintes d’accélération, de freinage et de virage.

Viser des performances terrestres sur la Lune

« Les concepts de roues que nous avons connu jusqu’à présent dans le spatial ont cherché à apporter la déformabilité en combinant des matériaux métalliques », remarque Antonio Delfino. « Mais lorsque l’on regarde les solutions appliquées sur Terre pour la mobilité, il n’y a pas mieux que les élastomères en termes de déformabilité. Regardez tout ce qu’on a pu faire avec les pneumatiques. Et si l’on se projette dans une économie lunaire dans dix ou vingt ans, il faudra avoir des objets roulants dont les performances devront se rapprocher de ce que l’on a sur Terre. »

Fruit de deux ans et demi de développement, la roue Venturi est déjà testée de façon intensive par Venturi Lab en Suisse en laboratoire et sur le terrain. Des essais vont se poursuivre en chambre thermo-vide mais aussi pour soumettre la roue à des radiations afin de reproduire les conditions lunaires. « Nous construisons nos propres machines pour tester, nos propres robots pour fabriquer des matériaux », souligne Antonio Delfino.

La roue Venturi sélectionnée par la Nasa

En avril, la Nasa a sélectionné douze projets de technologies spatiales clés dans la perspective de ses programmes d’exploration de la Lune et de Mars dont elle va soutenir le développement en mettant à disposition de ces entreprises ses installations et ses experts.

Venturi Astrolab Inc., le partenaire américain de Venturi qui porte le projet aux Etats-Unis, a été choisi aux côtés de mastodontes du spatial tels que Boeing, Lockheed Martin ou encore Maxar. L’entreprise, qui a à sa tête Jaret Matthews (passé par SpaceX et le Jet Propulsion Laboratory de la Nasa) travaillera avec le Glenn Research Center (Cleveland) et le Johnson Space Center (Houston) pour mettre la roue Venturi à l’épreuve. Il s’agira notamment d’évaluer sa résistance aux températures extrêmement froides. La Nasa mise beaucoup sur ce design inédit, expliquant dans son communiqué qu’il pourrait « permettre aux planificateurs de mission d’envisager davantage d’emplacements lunaires pour l’exploration du rover et des traversées plus longues. »

Avant même d’avoir posé son rover sur la Lune, Venturi peut s’enorgueillir d’un adoubement prometteur. « En dix ans, seuls une quarantaine de sociétés ont été sélectionnés pour ce type de programme », nous a précisé Antonio Delfino. « Nous sommes les seuls en Europe à travailler sur la mobilité lunaire », ajoute-t-il.

Le seul projet européen de rover lunaire

Parallèlement à son projet de mission sur la Lune avec SpaceX, Venturi se prépare à répondre à un appel d’offres de la Nasa pour le Lunar Terrain Vehicle Services (LTVS). Il s’agit de concevoir un rover hybride, capable à la fois de transporter des astronautes, du fret et de servir de plateforme pour conduire des missions scientifiques dans le cadre du programme Artemis. L’appel d’offres clos le 10 juillet, la Nasa étudiera les projets des consortiums en lice, dont celui de Venturi-Venturi Astrolab Inc., avant d’annoncer une première sélection en novembre. Débutera alors une phase de 15 mois durant laquelle les projets retenus devront présenter des prototypes de leur rover.

La Nasa fera son choix final à l’issue de cette phase. S’ouvrira une période d’une dizaine d’années durant laquelle le rover sélectionné devra allouer à l’agence spatiale américaine 80% de son temps d’utilisation. « La Nasa n’achète pas le rover. Elle achète un service pour transporter des astronautes et de la charge utile », explique Antonio Delfino. L’enveloppe globale du programme LTVS est de 4,5 milliards de dollars sur une décennie.

Les 20% de temps d’utilisation restant du rover sur la Lune sont laissés à la discrétion du constructeur. Il pourra ainsi développer une « économie lunaire ». Objectif : proposer les services de son véhicule à des entreprises ou des institutions (facultés, laboratoires de recherche…) désireuses de tester des technologies ou de conduire des expériences.

Qui est Venturi ?

Présidé par Gildo Pastor, Venturi est un groupe monégasque. Cet entrepreneur a acquis le constructeur français de voitures de sport Venturi en 2000 et lui a fait prendre le virage de l’électrique. Au cours des deux dernières décennies, Venturi s’est illustré par une série de concepts car électriques novateurs qui ont établi des records de vitesse et de distance. La marque s’est adjugée plusieurs records du monde vitesse avec sa moto électrique Voxan Wattman, et a défié le froid extrême de l’Antarctique avec son Venturi Antarctica et a couru en Formule E.

En 2019, Gildo Pastor se lance dans le projet de rover lunaire électrique. Il cofonde avec Antonio Delfino Venturi Lab basée en Suisse et scelle un partenariat avec Venturi Astrolab, Inc., entreprise basée aux Etats-Unis.

A Monaco, Venturi travaille sur les batteries du rover Flex. En Suisse, Venturi Lab se concentre sur les matériaux résistants aux conditions extrêmes. Comme les panneaux solaires hautes performances, les roues et les systèmes de contrôle électrique. Venturi Astrolab conçoit l’architecture du véhicule, ses mécanismes, son logiciel et son avionique, l’assemble et effectue les tests de validation. C’est également cette entité qui se charge de répondre à l’appel d’offres de la Nasa.

Source: Science et Vie