L'espagnol Renfe vient défier la SNCF sur le TGV en France
DÉCRYPTAGE - À partir du mois de juillet, l'opérateur espagnol desservira des tronçons français sur des axes internationaux.
Madrid
Un TGV Lyon-Perpignan pour 9 euros, un Montpellier-Barcelone pour 19 euros ou un Marseille-Madrid pour 29 euros. Voilà quelques-uns des trajets que l'opérateur de chemin de fer espagnol Renfe proposera à partir du mois de juillet à bord de ses TGV AVE. Le Lyon-Barcelone sera la première ligne en circulation, à partir du 13 juillet, tandis que le Marseille-Madrid entrera en service le 28 juillet.
Les billets seront disponibles à la vente à partir de mercredi. En présentant ce lundi les deux lignes, le président de Renfe, Raül Blanco, a souligné « un jour historique pour Renfe, la France et l'Espagne ». En effet, après Trenitalia, c'est au tour de la compagnie espagnole de venir défier les TGV de la SNCF dans l'Hexagone. Certains de ses clients ne voyageront que sur les tronçons français de ces lignes internationales.
Le Lyon-Barcelone desservira les gares intermédiaires de Valence, Nîmes, Montpellier, Béziers, Narbonne, Perpignan. Avant de passer la frontière et de continuer vers Figueres et Girone. Le Marseille-Madrid marquera l'arrêt à Aix-en-Provence, Avignon, et Nîmes, puis suivra le même parcours jusqu'à Barcelone et poursuivra le trajet vers la capitale espagnole. Soit deux routes identiques à celles effectuées de 2013 à 2022 par Ellipsos, une filiale commune de la SNCF… et Renfe ! L'aventure commune s'était terminée à la demande du français, qui avait décroché l'autorisation de faire circuler des Ouigo en Espagne et s'érigeait ainsi en concurrent de son partenaire espagnol.
Politique basée sur des petits prix
Une expérience « qui aide », reconnaît une source de la compagnie, « de même que d'opérer l'AVE en Espagne depuis trente-deux ans ». 25 conducteurs espagnols assistés de 25 contrôleurs seront affectés à ce service, qui montera peu à peu en puissance. Dans un premier temps, les trains ne circuleront que du vendredi au lundi, soit 16 fois par semaine. Des trajets seront ensuite disponibles tous les jours de la semaine, à partir de septembre sur la ligne de Lyon et d'octobre sur celle de Marseille, et passeront à 28 départs par semaine.
Les tarifs de lancement, spectaculairement bas, céderont le pas, à une date qui n'a pas été rendue publique, à des prix flexibles variant selon la demande. Mais Renfe pourrait bien poursuivre en France sa politique basée sur des petits prix, soit précisément la stratégie suivie en Espagne par… la SNCF. « Ils feront probablement du low cost, pronostique Camilo García, économiste spécialiste du chemin de fer. Un voyageur de la partie française, qui prend le train pour un trajet de 20 ou 45 minutes, n'a pas le temps d'apprécier la qualité des services au voyageur, il retiendra surtout le prix. » D'autant que sur le marché français, le haut de gamme est déjà couvert par Trenitalia, récemment débarqué, tandis que la SNCF occupe le milieu du segment.
Depuis 2021, le processus de libéralisation a été intense en Espagne Raül Blanco, président de Renfe
Le président de Renfe a insisté sur « le moment important » que constitue l'arrivée de Renfe en France. Si la compagnie possède déjà une expérience internationale, notamment en République tchèque, en Arabie saoudite ou en Amérique latine, c'est la première fois qu'elle opère en solitaire sur un territoire étranger. « Depuis 2021, le processus de libéralisation a été intense en Espagne, a rappelé Raül Blanco, qui doit désormais faire face à deux concurrents, les Ouigo français et les Iryo italiens. Renfe doit passer de son statut d'opérateur unique à celui de leader du marché en Espagne et d'opérateur de référence en Europe et dans le monde. »
À l'attaque de l'axe Paris-Lyon ?
L'arrivée de la SNCF en Espagne a contraint Renfe à mettre en place son offre low cost nationale, Avlo. Elle a aussi accéléré sa stratégie d'internationalisation. Le groupe veut réaliser 10 % de son chiffre d'affaires à l'étranger d'ici à 2028. La présentation, à Barcelone, en castillan, traduit en français par une interprète à l'exception d'un court passage en catalan et en français, semblait pourtant destinée en priorité à un public espagnol. « Ils donnent l'impression de vouloir capter d'abord des voyageurs espagnols, essentiellement au départ de Barcelone, davantage que la clientèle franco-française, analyse García. Ce qui est une stratégie discutable, car l'AVE pourra être compétitif sur des trajets en France, de Lyon à Montpellier par exemple. »
À moins que Renfe ne soit encore en rodage en France, exploitant les lignes qu'elle connaît bien avant d'attaquer le joyau de la couronne : le Paris- Lyon. « L'objectif est d'arriver à Paris. Notre rêve serait que les athlètes espagnols puissent se rendre aux Jeux olympiques à bord d'un AVE de Renfe. » Si la compagnie espagnole veut investir l'axe Paris-Lyon avec ses TGV, cela ne doit rien au hasard. Avec 52 millions de passagers sur les 120 millions transportés sur les lignes à grande vitesse en France en 2019, c'était la ligne la plus fréquentée de France. Cela n'a pas changé depuis. Et malgré l'arrivée de Trenitalia, qui propose cinq allers-retours Paris-Lyon par jour en plus des 23 exploités par la SNCF, il reste probablement de la place pour un nouvel entrant. « L'activité de la SNCF sur cet axe n'a pas baissé depuis le lancement de Trenitalia dans le TGV en France. Et les taux de remplissage des deux compagnies, très élevés, montrent que toute la demande n'est pas encore satisfaite », estime Arnaud Aymé, spécialiste des transports au sein du cabinet de conseil Sia.
Surtout, le Paris-Lyon constitue une ligne très rentable. Car, si la fréquentation y est très haute, les coûts n'y sont pas les plus élevés. Ainsi, les péages payés par les exploitants ferroviaires sur Paris-Lyon sont plus faibles que sur Paris-Bordeaux. Reste que lancer des TGV sur Paris-Lyon est une entreprise qui demande d'avoir les reins très solides : une rame TGV coûte 30 millions d'euros. Il en faut huit pour assurer un service avec suffisamment de fréquences sur une ligne tous les jours.
Source: Le Figaro