" J’ai envisagé des projets de violence "... La radicalisation d’un ancien gendarme
A la cour d’assises spécialement composée des mineurs à Paris,
Alexandre Gilet le reconnaît sans détour, il a, dans cette affaire, une « part de responsabilité ». « A un moment de ma vie où j’étais radicalisé suite aux attentats de 2015, j’ai envisagé des projets de violence », explique, les mains jointes dans le box des accusés, le jeune homme de 27 ans, t-shirt noir moulant, cheveux rasés sur un des côtés, mèche épaisse sur l’autre. Pour autant, précise-t-il immédiatement, de la théorie à la pratique, il y a fossé. « Je ne me sentais pas psychologiquement en capacité de passer à l’acte », insiste-t-il. Depuis ce lundi et pour deux semaines, quatre militants proches de la mouvance néonazie sont jugés devant la cour d’assises spécialement composée des mineurs, soupçonnés d’avoir préparé des attentats entre 2017 et 2018.
Alexandre Gilet est le seul à comparaître détenu. Il est celui vers qui tous les regards se tournent en cette première journée d’audience. Cet ancien gendarme volontaire est présenté dans le dossier d’instruction comme la pièce centrale, « le plus radical et le plus motivé », écrivent les juges d’instruction. Ils estiment que c’est sous son « impulsion » que le groupe dérive vers « l’élaboration de projets terroristes ». S’il nie toute velléité de passage à l’acte, il reconnaît avoir eu « à l’époque, un positionnement vraiment radical ». Lors des investigations, les enquêteurs ont notamment découvert des écrits faisant penser à ceux des « tueurs de masses », notamment Anders Breivik, le néonazi norvégien, pour lequel il a reconnu avoir été un admirateur. « Je regrette d’être allé aussi loin, d’avoir causé du tort à ma famille, à l’institution qu’est la gendarmerie, à mes co-mis en examen », insiste-t-il.
« Pour moi, Alexandre, ce n’est pas un leader »
A la barre ses parents, elle, agent d’entretien, lui, cuisinier, racontent leur stupéfaction de voir leur fils unique mêlé à une telle affaire. Inimaginable, même pour son père, qui précise que son grand-père – l’arrière-grand-père de l’accusé, donc – a été tué par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. « Pour moi, Alexandre, ce n’est pas un leader, précise-t-il, ils se sont monté la tête avec ses amis. »
Bien que séparés depuis vingt ans, ses parents tiennent un discours similaire, décrivent un enfant calme, qui commence à s’isoler au collège, passant de plus en plus de temps sur son ordinateur. « Depuis le collège, j’étais dans un mode de vie solitaire, surtout sur Internet. Mais ce n’est pas une difficulté, c’est que ça ne m’intéressait pas », explique l’intéressé. « C’est quand même assez rare un procès d’assises où il n’y a pas au moins un ami d’enfance ou une petite amie qui vient témoigner… », ne peut s’empêcher de constater une des assesseures. Il n’a eu aucune relation sérieuse, refusant de s’engager avec une personne ne partageant pas ses convictions.
Les attaques du 13-Novembre, un tournant
Si ses proches n’ont pas mesuré l’ampleur de sa radicalisation, ils s’accordent pour dire que les attaques du 13-Novembre marquent un tournant. « Depuis les attentats, il avait un discours d’extrême-droite, il n’aimait pas les étrangers », note son père qui affirme ne pas partager ses idées. Il voit d’ailleurs d’un très mauvais œil que son fils commence à acquérir - certes légalement - des armes (deux kalachnikovs, un fusil à pompe et un pistolet automatique) qu’il stocke chez lui. Alexandre Gilet est alors gendarme adjoint volontaire. Il a intégré ce corps à l’été 2016 après une première expérience ratée dans l’armée de terre. Bien que titulaire d’un CAP Vente, il a décidé de s’engager à tout juste 18 ans, à la mi-2015, pour « défendre [son] pays ». Mais la hiérarchie lui pèse et six mois plus tard, il démissionne.
Le schéma se reproduira dans la gendarmerie. Si ses premières évaluations sont très positives, son contrat ne sera finalement pas renouvelé en 2018 après qu’il a contesté un ordre. Quelques semaines après avoir appris cette nouvelle, il est mis en examen : une entreprise a fait un signalement après une commande de produits entrant dans la composition du TATP, un puissant explosif. « Je ne pensais pas que ça prendrait une telle proportion, que ça irait aussi loin », reconnaît-il aujourd’hui.
Aujourd’hui, il affirme que son suivi pour radicalisation terroriste lui a « permis de comprendre que ça n’en valait pas la peine », affirme ne plus avoir un positionnement « vraiment radical » comme à l’époque. « Je regrette », insiste-t-il. Pour autant, son parcours en détention fait état de relations assez proches avec des membres de l’ultradroite. Simplement parce qu’ils étaient détenus dans le même quartier, explique-t-il. Quant à ses occupations en prison, outre le sport qui occupe la majeure partie de ses journées, il y a ses lectures des ouvrages historiques. Avec un faible pour l’Egypte ancienne et les Mayas mais également la période des croisades et celle de la Seconde Guerre mondiale.
Les accusés risquent trente ans de réclusion pour les majeurs, 15 ans pour le mineur.
Source: 20 Minutes