Dix-sept semaines en mer sans repos pour un salaire horaire de 5,50 euros… Dumping social sur les liaisons transmanche

June 20, 2023
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EnquêteEntre Calais et Douvres, des compagnies de ferrys paient leurs marins moitié moins que le salaire minimum français ou britannique, quatre mois de suite sans jour de repos. De nouvelles lois entendent y mettre fin.

C’est l’histoire d’une course au moins-disant social, aussi logique qu’implacable. Elle mène, en toute légalité, à avoir des marins travaillant sur la liaison Calais-Douvres, donc exclusivement dans les eaux françaises et britanniques, mais payés la moitié du salaire horaire minimum de ces deux pays, actifs sept jours sur sept, sans jour de repos jusqu’à quatre mois de suite.

Déjà deux des trois compagnies de ferrys qui relient Calais (Pas-de-Calais) à Douvres (Royaume-Uni), P&O et Irish Ferries, fonctionnent entièrement ou partiellement sur ce modèle, risquant d’emporter le reste du secteur. Pour tenter d’enrayer le mouvement, les gouvernements des deux côtés de la Manche préparent de nouvelles lois. Côté français, la proposition de loi de « lutte contre le dumping social sur le transmanche » va arriver en séance plénière au Sénat mercredi 21 juin.

Ils viennent d’Inde, des Philippines, d’Indonésie, de Géorgie, de Roumanie… A raison de quatre, voire cinq allers-retours par jour sur ces monstres des mers aux noms ronflants (Pride-of-Canterbury, Spirit-of-France…), ces marins venus du monde entier reçoivent les passagers à Douvres ou à Calais, dans un incessant ballet à la chorégraphie millimétrée. Embarquement des camions, des voitures puis des cars. Accueil des passagers, bureau de change à faire fonctionner, buffet du « club lounge » à préparer (« Désirez-vous du champagne ? »), espace pour chauffeurs routiers, magasin duty free. Puis, une heure et demie plus tard, débarquement : camions, voitures, cars…

Rythmes intenses

Sur ces navires de P&O, des portes discrètes et verrouillées mènent au sommet des bateaux, qui dépassent parfois 200 mètres de long. Là-haut se trouvent les cabines, où dort le personnel navigant, quasiment sans toucher la terre ferme pendant dix-sept semaines, parfois plus.

Un bon boulot, raconte dans un grand sourire cet Indonésien aux allures de jeune premier : « On a chacun notre cabine. » « Il y a même une salle de gym », renchérit un de ses compatriotes. La plupart des marins disent la même chose : travailler sur la Manche, c’est mieux que sur les bateaux de croisière, où la plupart d’entre eux servaient auparavant. Le salaire est similaire mais le contrat est plus court. « On est en mer quatre mois au lieu de sept ou huit mois », confie l’un. « Mes amis, qui travaillent dans les croisières, veulent tous signer pour ces ferrys », ajoute un autre.

Selon un contrat de travail que Le Monde a pu consulter, leurs salaires tournent autour de 2 000 dollars (environ 1 830 euros) par mois, heures supplémentaires comprises, nourri et logé. « C’est deux à trois fois ce que je peux espérer dans mon pays », témoigne un Philippin. Irrésistible, donc, mais, en salaire horaire, cela correspond à un peu plus de 6 dollars (5,50 euros). Soit la moitié du salaire minimum français ou britannique (qui sont similaires), avec des rythmes particulièrement intenses.

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Source: Le Monde