"L'effet donut": avec le télétravail, les villes changent de visage

June 20, 2023
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Je suis depuis longtemps fasciné par la géographie économique, et je me pose une grande question ouverte par cette nouvelle ère de réunions Zoom et de télétravail: que vont devenir les villes? Pour l'heure, il semble à peu près évident que la pandémie de Covid aura des effets durables. La généralisation du télétravail a déclenché une révolution. L'époque où la grande majorité des employés restaient de 9 heures à 17 heures et cinq jours par semaine au bureau est définitivement révolue.

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Le travail hybride, dans lequel les salariés se rendent au bureau deux ou trois jours par semaine, signifie qu'il y aura beaucoup moins de demande pour les espaces de bureaux. Il apparaît que la moitié seulement de ces locaux dans les grandes villes américaines sont actuellement utilisés, et rien n'indique un prochain retour aux taux d'occupation pré-pandémie.

Cela veut-il dire que les grandes agglomérations sont engagées dans une spirale mortelle? Sans doute pas.

Le téléphone: un précédent instructif

Je me suis mis à relire un vieil article que Jess Gaspar et Edward Glaeser avaient écrit aux débuts d'Internet. A cette époque comme aujourd'hui, beaucoup de gens affirmaient que l'utilisation de plus en plus facile des communications longue distance ôterait aux grandes villes une part de leur raison d'être. Or les deux auteurs estimaient au contraire que cela aurait l'effet inverse: la technologie allait générer une augmentation des contacts personnels et professionnels. Car pour faire fructifier ces relations, il serait nécessaire de procéder au moins de temps à autre à des interactions en face-à-face, qui pourraient bien se multiplier au lieu de se raréfier; et les villes restent les meilleurs endroits pour cela.

Pour appuyer leur thèse, un des éléments de preuve intéressants concernait une autre technologie, plus ancienne: le téléphone. On aurait en effet pu s'attendre à ce que l'invention du téléphone réduise la demande de voyages. Et pourtant, concrètement, la généralisation de son usage est allée de pair avec une augmentation du nombre de voyages d'affaires. Et Gaspar et Glaeser concluaient qu'Internet aurait les mêmes effets.

De quelle façon cela peut-il s'appliquer à la révolution du télétravail et à ses conséquences sur les villes? Les Américains ne retourneront probablement jamais au bureau à plein temps. Mais ils continueront à travailler ensemble, peut-être même plus qu'auparavant. Et une partie devra être effectuée en présentiel, ce qui veut dire que les gens voudront toujours habiter dans ou près d'une grande ville. En réalité, certains indices laissent penser que travailler chez soi rend par certains aspects la vie en ville plus attractive: les gens qui n'ont pas à se rendre chaque jour au bureau consacrent plus de temps à fréquenter les boutiques, restaurants et autres commerces locaux, ce qui améliore la qualité de leurs quartiers.

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"L'effet donut" persiste

Cela dit, le télétravail déplacera à coup sûr les centres de gravité des zones métropolitaines en dehors des quartiers d'affaires des centres-villes. En 2021, les économistes Arjun Ramani et Nicholas Bloom ont inventé le terme d'"effet donut" pour décrire cette tendance qui voit les gens quitter leurs coûteux logements en centre-ville pour aller s'installer en périphérie, pour moins cher.

L'évolution des prix de l'immobilier semble indiquer que cet effet donut se poursuit, alors même que de nombreux employés ont repris au moins à temps partiel le chemin du bureau, ce qui se comprend aisément: à partir du moment où ils ne doivent se rendre sur place que deux ou trois fois par semaine, et non plus tous les jours, les salariés sont prêts à accepter un rallongement du temps de trajet jusqu'à leur travail s'ils peuvent se loger à moindre coût.

Les centres urbains toujours attractifs

Assisterons-nous à un exode à long terme, non seulement hors des centres urbains, mais hors des grandes zones métropolitaines? Le télétravail ouvre sans aucun doute cette possibilité. Mais je ne suis pas du tout certain que le phénomène prenne de l'ampleur: les études montrent qu'en dépit du fait que nous ayons tous recours à Zoom depuis quelque temps, les voyages d'affaires reprennent rapidement et pourraient bientôt retrouver leur fréquence d'avant la pandémie.

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Ce que cela suggère, en tout cas à mes yeux, c'est que même les employés exclusivement en télétravail voudront généralement vivre dans des endroits bénéficiant d'un accès relativement aisé aux grands centres d'affaires - dans des banlieues plutôt que dans les petites bourgades de l'Amérique profonde. La période actuelle est donc intéressante pour l'Amérique urbaine. Zoom et les autres applications de vidéoconférence n'ont pas rendu les villes obsolètes. Mais il semble que la pandémie ait définitivement transformé le paysage urbain.

© The New York Times 2023

Source: Challenges