Artificialisation des sols : des élus locaux inquiets pour l’essor de leur territoire

June 21, 2023
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ZAN pour « zéro artificialisation nette ». Trois lettres qui font fulminer les élus locaux depuis des mois et bousculent, au nom de la protection de l’environnement, un modèle de développement fondé sur un autre triptyque : pavillon-jardin-voiture. Cet habitat fait de vastes lotissements serait responsable de la majeure partie de l’étalement urbain, et donc de l’artificialisation des sols.

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Mercredi 21 juin, le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, sera à l’Assemblée nationale pour défendre une proposition de loi soutenue par le gouvernement qui doit permettre de freiner la bétonisation des espaces naturels. Le principe hérité de la Convention citoyenne pour le climat, puis consacré par la loi Climat et résilience d’août 2021, prévoit de réduire de moitié le rythme d’artificialisation d’espaces agricoles, naturels et forestiers d’ici à 2031 par rapport à la décennie 2011-2021.

Des élections sénatoriales redoutées

Une première étape qui doit conduire, à horizon 2050, à ce que chaque mètre carré bétonné soit strictement compensé par un mètre carré végétalisé. « Cela ne veut pas dire que plus aucune terre ne pourra plus jamais être aménagée, mais il est clair que les autorisations seront fortement encadrées », précise Anne Lefranc, ingénieure en aménagement à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Au risque de compromettre le développement des communes, empêchées dans leurs projets d’aménagement futurs.

En haut lieu, on craint que les élections sénatoriales prévues fin septembre ne soient l’occasion pour les élus municipaux, acteurs déterminants de ce scrutin, de faire entendre leur mécontentement. Dans le double contexte de la crise du logement, et en plein effort de réindustrialisation du pays, le coup de frein annoncé sur les constructions ressemble à une injonction contradictoire. Le rapporteur du texte pour la majorité, Bastien Marchive, certifie qu’« il n’a jamais été question que toutes les communes de France se voient imposer une logique arithmétique de diminution de 50 % des surfaces artificialisées ».

Reste qu’il ne s’agit pas non plus de transiger sur l’ambition écologique de la loi Climat et résilience, selon l’élu Renaissance des Deux-Sèvres, comme l’avaient fait les sénateurs, en mars dernier, en accordant des dérogations à l’artificialisation des sols. La « garantie rurale », seul gage donné aux élus locaux, assurera l’équivalent d’un hectare de droit à construire sur la décennie à venir aux 31 000 communes considérées comme « peu denses » et « très peu denses ». « On ne demande pas l’aumône, on demande la reconnaissance du droit au projet dans nos villages », tempête le représentant de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), François Descœur, également maire de la commune d’Anglards-de-Salers (Cantal).

« Le ZAN, ce n’est pas la fin de la maison individuelle »

Dans un communiqué, la fédération d’élus ruraux « demande au législateur de ne pas valider des choix de l’administration visant à faire des élus locaux de simples exécutants ». « Puisque ce sont les régions qui auront la compétence de ventiler les droits à artificialiser, les communes rurales se demandent si elles ne seront pas lésées par rapport aux métropoles, alors qu’elles sont en déprise démographique », abonde l’Association des maires de France (AMF).

Dans la Nièvre, les maires font part d’un réel sentiment d’injustice : « Pourquoi, nous qui avons déjà fait tant d’efforts pour densifier nos centres-bourgs et limiter notre extension foncière, devrions-nous nous voir imposer des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols plus drastiques que la Côte-d’Or voisine, portée par le dynamisme de Dijon ? », se demande un édile non loin de Nevers, qui préfère garder l’anonymat. De la juste répartition des droits à construire entre les métropoles et les communes rurales dépendra l’acceptabilité de la proposition de loi.

Il en va ainsi de la prise en compte des efforts de sobriété passés. « Le gouvernement fait comme si nous n’avions pas repensé le modèle de développement de nos communes pour tenir compte des impératifs environnementaux, s’agace François Descœur depuis son fief du Cantal. Sauf que l’après-crise Covid a montré l’aspiration des Français à s’installer hors des villes. »

« Le ZAN, ce n’est pas la fin de la maison individuelle, rassure-t-on dans l’entourage du ministre Christophe Béchu. Dans les lotissements actuels, vous construisez 8 maisons à l’hectare. En doublant la densité de cet habitat, avec des jardins d’une superficie de 600 mètres carrés, vous avez déjà fait la moitié du chemin. »

Problème : les maires de communes de taille modeste se trouvent souvent démunis lorsqu’il s’agit de se conformer aux objectifs du ZAN sans gréver leur capacité de développement. Pour dégager des marges de manœuvre, en restant dans les contraintes imposées par les objectifs ZAN, les édiles auront besoin des services de bureaux d’études. L’enjeu est de savoir quelle friche reconvertir, quel espace pourrait être renaturé, quelle partie du centre-bourg pourrait être densifiée.

Une ingénierie précieuse qui manque à leur administration municipale. « Forcément, c’est brutal quand on leur donne le sentiment qu’ils ne pourront plus se développer sans avoir prévu des mécanismes d’accompagnement », reconnaît la présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, Christine Leconte. « Il est grand temps de passer d’un urbanisme d’opportunité, où la moindre parcelle constructible voyait immédiatement pousser un lotissement ou un centre commercial, à un urbanisme de projets, attentif à l’existant, qui étudie toutes les possibilités de réhabilitation, de densification, de renaturation également. »

Un « plan Marshall » pour la réhabilitation du bâti vacant ?

« Entre le pavillon classique et l’immeuble extrêmement dense qui fait l’effet d’un repoussoir, il existe pléthore de solutions écologiquement pertinentes et socialement désirables », s’enthousiasme Christine Leconte. Elle prône la chasse aux « dents creuses », ces interstices laissés vacants en centre-ville, afin de « recoudre le tissu urbain ».

Ces pistes pour atteindre la sobriété foncière risquent de frapper au porte-monnaie les collectivités territoriales, qui comptent massivement sur les recettes de la taxe foncière. Or, cette rente fiscale est fonction de l’étalement urbain. C’est pourquoi les associations d’élus réclament un « plan Marshall » en faveur de la réhabilitation du bâti vacant.

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Cet effort de sobriété se heurte aussi à un imaginaire français encore dominé par l’idéal pavillonnaire. Le dernier sondage réalisé par la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles avec l’Ifop, en mars, en témoigne : 84 % des personnes interrogées plébiscitent la maison individuelle par rapport à une copropriété. Conscient de la nécessité de prévenir « des “gilets jaunes du ZAN” », le directeur du pôle protection de la nature de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Cédric Marteau, préconise des incitations fiscales « pour tous ceux qui joueront le jeu de la renaturation, de la densification des centres-bourgs et de la réinstallation dans les logements vacants ».

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Jalons d’une sortie progressive du béton

En France, entre 20 000 et 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers sont artificialisés en moyenne chaque année.

Entre 2011 et 2021, 243 000 hectares ont ainsi été urbanisés, soit l’équivalent du département du Rhône, majoritairement pour l’habitat (68 %) et l’activité économique (25 %).

La proposition de loi prévoit de fixer un plafond d’artificialisation de 125 000 hectares sur la période 2021-2031. Une enveloppe de 15 000 hectares sera réservée à de « grands projets d’envergure nationale » : ligne à grande vitesse, autoroutes, prisons, etc.

Intercommunalités de France, qui regroupe les associations de communes, fait valoir qu’en six ans, entre 2015 et 2021, les élus ont consommé 26 % de foncier de moins qu’entre 2009 et 2015.

L’Hexagone compte 150 000 hectares de friches industrielles et 1,1 million de logements vacants, un gisement foncier potentiel à disposition des maires.

Source: La Croix