Comment la Syrie est devenue un plus grand trafiquant de drogue que les cartels mexicains
Le Captagon, amphétamine tirée d'un ancien médicament psychotrope, génère trois fois plus d'échanges pour le régime syrien que les cartels mexicains réunis, selon les chiffres officiels.
Vous n'en avez probablement jamais entendu parler.
Pourtant, le Captagon, une drogue ressemblant à l'amphétamine et créant une forte dépendance, a déferlé sur le Moyen-Orient.
Le gouvernement britannique estime que 80 % de cette drogue est produite en Syrie, générant pour le régime d'Assad "environ trois fois le commerce combiné des cartels mexicains".
Mais comment en est-on arrivé là ? Et qu'est-ce que le Captagon ?
Un grand nombre de personnes au Moyen-Orient utilisent le Captagon, qui peut être vendu sous forme de pilule ou de poudre.
Caroline Rose, directrice de l'Institut New Lines, explique comment cette drogue touche des pans entiers de la société. Les étudiants en consomment pour améliorer leur productivité. Les chauffeurs de taxi, de camions et même les soldats utilisent cette drogue pour rester éveillés et performants dans leur travail, tandis que d’autres, victimes de l’insécurité alimentaire, se tournent vers le Captagon comme coupe-faim.
Le Captagon alimenterait la scène festive du Golfe, grâce à ses qualités euphorisantes, sans les stigmates d'autres drogues comme l'héroïne ou la cocaïne.
Le Captagon a été développé en Allemagne dans les années 1960 comme remède pharmaceutique contre le Le trouble déficitaire de l'attention (TDAH), la narcolepsie et la dépression.
L'un de ses ingrédients actifs, la fénétylline, a ensuite été inscrit sur la liste noire des Nations unies en 1986, ce qui a conduit la plupart des pays à l'abandonner.
Saisie de Captagon dans le port de Jeddah, le 23 avril 2021 AP/AP
De nouveaux centres de production ont rapidement vu le jour en Bulgarie, avec des comprimés contrefaits passés en contrebande par des gangs turcs vers le Moyen-Orient, selon un rapport de 2018 de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.
Au début des années 2000, la production a migré vers la Syrie. La guerre civile syrienne a éclaté en 2011 et la production a explosé.
"Le vide politique et sécuritaire qui a émergé de la guerre civile syrienne et l'effondrement économique qui en a résulté ont créé un espace suffisant pour que des économies illicites comme celle du Captagon prospèrent", explique Mme Rose à Euronews.
Elle décrit ce commerce comme une "source de revenus alternative" pour le régime syrien et ses alliés qui cherchent à éviter les sanctions occidentales et à "soutenir les structures de pouvoir locales", en particulier dans le sud du pays.
"Assad a transformé la Syrie en une ferme de drogue"
Bien qu'il soit difficile de calculer l'effet exact du Captagon sur la société moyen-orientale en raison du manque de données, il devient une préoccupation majeure dans la région.
"Les drogues sont l'un des fléaux de la société car elles la détruisent, en particulier au Moyen-Orient, où les jeunes souffrent du chômage en raison de l'effondrement des conditions économiques dû aux politiques des dirigeants", explique à Euronews Taim Alhajj, un journaliste d'investigation syrien.
"Des membres haut placés de la famille Assad produisent de la drogue de manière organisée dans le but de gagner de l'argent et de plonger davantage les jeunes dans la corruption afin de les empêcher de revendiquer leurs droits usurpés".
"La drogue est la clé d'une grande partie de la criminalité dans n'importe quelle société, et encore plus dans un pays comme la Syrie qui vit dans un état de chaos sécuritaire", ajoute-t-il.
La Syrie n'est pas la seule dans ce cas
À la fin du mois d'août 2022, les autorités saoudiennes ont mené leur plus grande opération antidrogue, mettant la main sur 46 millions de pilules d'amphétamine dissimulées dans une cargaison de farine.
La Jordanie a déjoué une tentative de contrebande de 16 millions de comprimés de Captagon en février de cette année-là, soit plus que la totalité des comprimés saisis en 2021.
Pour aggraver la situation, Rose explique que la plupart des États du Moyen-Orient ne disposent pas de systèmes de réhabilitation et de réduction des risques appropriés, ni de campagnes de sensibilisation du public.
Cette situation est particulièrement évidente en Syrie.
Bien que le régime et ses alliés tirent des milliards de ce commerce, M. Rose affirme qu'il y a peu de preuves que les revenus de Captagon sont injectés dans les secteurs publics syriens.
L'argent trouble remplit plutôt les poches des "caïds" et contribue à maintenir "l'élan de l'appareil de sécurité syrien" dans sa lutte contre les rebelles, en finançant le recrutement et l'approvisionnement, ajoute-t-elle.
Il s'agit également d'une monnaie d'échange cruciale pour Bachar el-Assad, qui est en difficulté et isolé, le sujet étant abordé dans les discussions diplomatiques entre les pays arabes qui tentent de normaliser leurs relations.
"Le commerce de la drogue et la contrebande sont devenus une carte de pression politique que M. Assad utilise dans les négociations", explique le journaliste d'investigation Alhajj.
En mai, Damas a accepté de coopérer avec la Jordanie et l'Irak pour identifier les sources de production et de trafic de drogue. Une semaine plus tard, un trafiquant de drogue syrien très connu et sa famille auraient été tués lors d'un raid aérien jordanien dans le sud de la Syrie.
Le rôle de l'Europe dans la saga du Captagon
Le régime syrien n'est pas le seul à en bénéficier.
L'Europe est impliquée dans le commerce et la production de Captagon en tant que "point de départ clé" pour les expéditions de drogue, selon la directrice de l'Institut New Lines.
"Les contrebandiers qui cherchent à réduire les soupçons sur les cargaisons expédiées depuis les territoires contrôlés par le régime syrien passent d'abord les comprimés en contrebande vers les ports maritimes européens ou créent des sociétés écrans plus à l'intérieur des terres pour réacheminer les cargaisons vers les marchés de destination", explique-t-elle.
"En faisant passer le Captagon par l'Europe, les contrebandiers tentent d'améliorer la crédibilité de leurs expéditions et de réduire les risques d'inspection", ajoute Mme Rose.
Inévitablement, certaines de ces drogues illicites se sont retrouvées sur les marchés européens.
"Il ne fait aucun doute que les bandes organisées des pays européens travaillent en coordination avec la famille Assad pour acheminer la drogue vers l'Europe", affirme M. Alhajj.
En 2020, la police italienne a saisi quelque 14 tonnes de pilules de Captagon d'une valeur d'environ 1 milliard d'euros, décrivant cette opération comme la plus importante du genre au monde.
Saisie de Captagon à Damas, le 30 novembre 2021 AP/AP
Selon les deux experts, la lutte contre le Captagon, comme contre la plupart des autres drogues illicites, nécessite une solution sur plusieurs fronts.
À court terme, Mme Rose suggère d'améliorer la communication entre les pays de transit et de destination du Captagon.
"Il faut un meilleur partage des renseignements et une meilleure coordination de la stratégie de lutte contre le Captagon", explique-t-elle à Euronews, mettant en garde contre une "collaboration directe avec le régime syrien" qui utilise son contrôle sur le commerce pour "obtenir des concessions".
Mme Alhajj estime que des solutions systématiques doivent être trouvées pour s'attaquer au problème en Syrie.
"Le problème du Captagon n'est pas le plus grave en Syrie. Le pays vit dans un état de tyrannie grâce à la domination de la famille Bachar al-Assad qui règne par le fer et le feu, et qui a tué des centaines de milliers de personnes et en a déplacé des millions".
"Il faut d'abord mettre fin au régime Assad, car cette famille est à l'origine de la corruption et de la ruine de ce pays".
Source: Euronews