La reconstruction de l'Ukraine, "l'énorme challenge économique" et diplomatique des alliés de Kiev

June 22, 2023
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LE PRIX DE LA GUERRE

Une conférence internationale se tient à Londres, entre mercredi et jeudi, avec l'objectif de mobiliser États, entreprises et grandes institutions financières pour reconstruire l'Ukraine, alors même que le conflit est toujours en cours. Le défi s'annonce "énorme", la facture provisoire s'établissant à 411 milliards de dollars pour redresser l'économie ukrainienne. Cette unité vise aussi à "déclarer une détermination" diplomatique des alliés de Kiev face à Moscou.

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L'appel du 21 juin depuis Londres… pour soutenir la reconstruction de l'Ukraine. Les alliés occidentaux de Kiev – des dirigeants et représentants de plus de 60 pays – se réunissent, mercredi et jeudi, au Royaume-Uni pour mobiliser les acteurs institutionnels et privés afin de redresser l'économie en ruines de l'Ukraine. Le pays, l'un des plus pauvres d'Europe avant le début du conflit, a été terrassé par plus d'un an d'offensive russe, son PIB s'étant effondré de 29,1 % sur l'année 2022.

"Ensemble avec nos alliés, nous allons maintenir notre soutien à la défense de l'Ukraine et à la contre-offensive. Nous nous tiendrons aussi longtemps que nécessaire aux côtés de l'Ukraine pendant qu'elle remporte la guerre", a affirmé mercredi le Premier ministre britannique, Rishi Sunak.

Les principaux pays qui aident financièrement Kiev ont aussi fait plusieurs annonces : le Royaume-Uni a annoncé un nouveau paquet de soutien financier de 3 milliards de dollars pour l'Ukraine sur la période 2024-2027, et les États-Unis vont fournir 1,3 milliard de dollars d'aide supplémentaire à l'économie ukrainienne. Mardi, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a aussi demandé aux États membres de l'UE une rallonge de 50 milliards d'euros sur le budget multi-annuel de l'UE – négocié en 2020 – afin d'aider l'Ukraine jusqu'en 2027.

Tout en remerciant les partenaires de l'Ukraine "pour leur soutien", Volodymyr Zelensky a écrit sur Twitter que "le redressement de l'Ukraine sera[it] plus prévisible grâce à l'unité et à la solidarité du monde."

Ces nouveaux investissements visent à aider le pays à se relever économiquement, un défi colossal selon Jean-François Robin, directeur de la recherche chez Natixis : "C'est un énorme challenge économique. Plusieurs secteurs sont à reconstruire : les infrastructures (routes, ponts, ports, chemins de fer), les logements et les bâtiments non résidentiels (écoles, hôpitaux), l'industrie métallurgique, l'agriculture… Près de 30 % du pays ont été détruits."

Les États-Unis et l'UE en tête des contributeurs

Si les besoins de l'Ukraine sont évalués à 14 milliards de dollars pour l'année 2023, le redressement plus global de l'économie du pays coûtera quelque 411 milliards de dollars sur la décennie 2023-2033, selon une étude publiée le 23 mars par la Banque mondiale, l'ONU, l'UE et le gouvernement ukrainien.

Les secteurs qui vont nécessiter le plus d'investissements publics et privés sont les transports (92,1 milliards de dollars), les bâtiments d'habitation (68,6 milliards de dollars), le secteur de l'énergie (47 milliards de dollars) ainsi que la protection sociale (41,8 milliards de dollars).

Mais la somme devrait encore gonfler à mesure que le conflit se poursuit, comme l'illustre la destruction récente du barrage de Kakhovka – qui a causé des dégâts estimés à plus d'1,3 milliard de dollars, selon les autorités ukrainiennes.

Sans attendre la décennie à venir, plusieurs pays œuvrent déjà au redressement du pays : les États-Unis sont les premiers contributeurs de l'Ukraine avec près de 27 milliards de dollars d'aide financière (mais près de 78 milliards de dollars en incluant l'aide militaire et humanitaire), selon le Kiel Institute, un institut de recherche économique basé en Allemagne. Ils sont suivis de près par l'Union européenne, qui a déjà aidé financièrement Kiev à hauteur de plus de 33 milliards de dollars (près de 39 milliards toutes aides réunies).

"Les sommes évoquées sont considérables, et de nombreux pays vont vouloir participer à cette reconstruction, car il y aura aussi des opportunités économiques à la clé", relève Jean-François Robin.

La Russie "devra supporter le coût de la reconstruction"

Les instances internationales mettent aussi la main à la poche : la Banque mondiale a débloqué pour le moment plus de 20 milliards de dollars sous forme de prêts ou de dons, et le Fonds monétaire international (FMI) a accordé en mars une aide financière de 15,6 milliards d'euros pour les quatre prochaines années.

Ce plan du FMI, évalué à 115 milliards de dollars à long terme, a pour but de "soutenir la reprise économique graduelle tout en créant les conditions d'une croissance de long terme dans un contexte de reconstruction après le conflit et sur le chemin de l'adhésion à l'UE", selon l'instance internationale.

En plus de tous ces efforts financiers, les alliés de Kiev comptent bien faire payer la Russie aussi à terme. "Soyons clairs : la Russie est à l'origine de la destruction de l'Ukraine. Et la Russie finira par supporter le coût de la reconstruction de l'Ukraine", a déclaré mercredi à Londres le secrétaire d'État américain, Antony Blinken.

Les acteurs privés s'impliquent aussi dans le chantier de la reconstruction : le fonds d'investissement BlackRock et la première banque américaine JP Morgan aident notamment le gouvernement ukrainien à "mettre en place une banque de reconstruction [pour] orienter les capitaux vers des projets de reconstruction susceptibles d'attirer des centaines de milliards de dollars d'investissements privés", selon le Financial Times.

La conférence de Londres a aussi permis le lancement officiel de "Business compact". Cette initiative invite les entreprises du monde entier – plus de 400 au lancement de la plateforme, dont Apple, IBM Ukraine ou encore Sanofi – à s'engager "pour montrer leur soutien au redressement de l'Ukraine" aux côtés des grandes institutions financières mondiales.

Un soutien sur le long terme

Parler de reconstruction de l'Ukraine peut sembler prématuré quand le pays est encore le théâtre d'un conflit armé et meurtrier. Comment redresser l'économie dans ces circonstances ?

Pour le diplomate Gérard Araud, il faut faire une distinction entre le sud-est de l'Ukraine et le reste du pays : "Sur la zone du front, les destructions vont continuer tant que les combats se poursuivent, donc on ne va pas faire venir des ouvriers et une population dans un endroit intensément bombardé. Alors que dans le reste du pays, soumis à des bombardements par missiles localisés, on peut reconstruire en priorité notamment ce qui relève des services publics : la distribution d'eau, de gaz, d'électricité…"

C'est ce que font les États-Unis en ciblant des investissements immédiats pour l'Ukraine. Le dernier en date annoncé mercredi vise, à la fois, à rebâtir les infrastructures énergétiques du pays (520 millions de dollars vont être débloqués) et à "moderniser" le chemin de fer, les ports, les frontières et "toutes les infrastructures essentielles qui connectent le pays avec l'Europe [657 millions de dollars]", a détaillé Antony Blinken.

Au-delà d'une implication concrète sur le terrain, les alliés de Kiev entendent aussi passer un message d'unité à Moscou en lui assurant qu'ils s'engagent durablement sur la reconstruction du pays. "C'est une manière de dire : 'Notre engagement aux côtés de l'Ukraine est un engagement de long terme'", explique l'ancien ambassadeur de la France aux États-Unis. "Cela prend deux formes : la reconstruction avec une entrée dans l'UE à terme, et un engagement militaire avec la perspective d'une entrée de l'Ukraine dans l'Otan."

Ukraine has succeeded in making the EU as united as it has never been before.

This is truly a unity of values, which is reflected in many political, economic, sanction and humanitarian decisions. 🇺🇦 has activated all that power of solidarity for which the 🇪🇺 was conceived.

And… pic.twitter.com/5hk6bEtL8x — Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) June 21, 2023

Ce partage de valeurs communes entre l'Ukraine et ses "partenaires" a aussi été souligné mercredi dans un tweet par Volodymyr Zelensky, où il a écrit que "l'Ukraine a[vait] réussi à rendre l'UE plus unie que jamais. Il s'agit véritablement d'une unité de valeurs, qui se reflète dans de nombreuses décisions politiques […]. L'Ukraine a activé tout ce pouvoir de solidarité pour lequel l'UE a été conçue."

L'implication des États-Unis, de l'UE ou encore du Royaume-Uni peut être finalement vue comme "une déclaration de détermination et une affirmation des valeurs européennes aux yeux de l'opinion publique et aux yeux du monde", selon Gérard Araud. Et de conclure : "C'est une façon de dire que leur soutien n'est pas seulement militaire, mais aussi un soutien humain pour reconstruire l'Ukraine."

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Source: FRANCE 24