Qui veut la peau d’Anticor, chevalier blanc de la lutte contre la corruption ?

June 23, 2023
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Créée il y a vingt ans par des élus mais aujourd’hui redoutée par les responsables politiques, l’association pourrait perdre l’agrément qui lui permet d’agir devant la justice. Le tribunal administratif devrait rendre son délibéré ce vendredi 23 juin.

Si Anticor venait à perdre son agrément, certains de ses dossiers pourraient être subitement fragilisés. Ici à Nantes en 2019, lors de l’université d’été de l’association. Photo Jérémie Lusseau / Hans Lucas via AFP

Par Olivier Tesquet Partage

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«C‘est fatigant de se battre pour avoir le droit de se battre. » Élise Van Beneden a cependant l’habitude. Depuis qu’elle a pris la direction d’Anticor, l’association anticorruption créée il y a vingt ans par des élus mais honnie des responsables politiques d’aujourd’hui, l’avocate de 37 ans a dû apprendre à ferrailler. Contre les pressions du pouvoir, mais aussi les remous de l’intérieur. Deux ans après avoir obtenu de haute lutte le renouvellement de son agrément, l’association risque à nouveau de le perdre. Le sésame est précieux, capital même : c’est ce qui lui permet de porter plainte et de se constituer partie civile dans d’épineuses affaires touchant à l’éthique publique, comme celle impliquant Alexis Kohler, le puissant secrétaire général de l’Élysée, mis en examen pour prise illégale d’intérêts en octobre 2022.

Cette fois-ci, l’avenir d’Anticor se joue devant la justice administrative, qui rendra son délibéré ce vendredi 23 juin. Deux anciens membres partis fâchés, Claude Bigel et Yves Sassiaut, demandent l’annulation de l’agrément. En substance, les griefs sont les mêmes qu’en 2021 (le recours « en excès de pouvoir » a d’ailleurs été déposé en juin de la même année) : la proximité d’Élise Van Beneden avec le site d’information Blast, l’ancrage politique jugé trop à gauche de certains adhérents, et les dons généreux d’Hervé Vinciguerra, un milliardaire un temps proche d’Arnaud Montebourg. Pour les représenter, Bigel et Sassiaut se sont adjoint les services d’une pointure : Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d’État, ancien président de la Ligue de football professionnel, nommé par Emmanuel Macron en 2019 pour réfléchir à la réforme de l’ENA. Selon lui, Anticor « ne répond pas aux conditions légales » nécessaires pour obtenir l’agrément, et c’est l’argument qu’il a fait valoir lors du premier round le 12 juin, devant la sixième section du tribunal administratif de Paris.

Entreprise de démolition

Dans sa requête écrite, le haut fonctionnaire aux célèbres moustaches s’appuie sur des articles très à charge publiés au moment du renouvellement de l’agrément dans Le Journal du dimanche, Causeur ou Le Point pour pointer des carences au niveau de « [la] transparence des ressources, [de l’]information et [de la] participation effective des adhérents ». Quand bien même certains de ces papiers au vitriol relèvent davantage de l’entreprise de démolition que du journalisme : l’enquête parue dans le JDD du 18 janvier 2021 a par exemple été épinglée par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). Élise Van Beneden a décidé de contre-attaquer : l’association a porté plainte pour dénonciation calomnieuse contre Claude Bigel en décembre 2021, lorsqu’elle a pris connaissance de la nouvelle offensive menée contre elle. Alors qu’il mettait en cause la transparence des comptes dans la presse, des mails consultés par Télérama et joints au mémoire adressé au président du tribunal montrent que ce comptable de profession a pu remplir sans encombres sa fonction de vérificateur. « En ce qui me concerne, aucune objection à approuver les comptes d’Anticor », écrit-il dans un échange daté du 2 mars 2020, quelques mois avant de partir en guerre contre la nouvelle direction.

Pour ajouter encore à l’atmosphère de mauvais western, un autre avocat a fait irruption dans la procédure : Juan Branco, venu lui aussi plaider l’annulation de l’agrément, ce qui ne manque pas de sel quand on connaît ses prises de position publiques contre l’Élysée et le gouvernement. Ses motivations pourraient être tout à fait personnelles : dans le cadre de son activité d’avocate, Élise Van Beneden défend l’une des anciennes collaboratrices du pamphlétaire germanopratin aux prud’hommes. Matignon, pourtant directement concerné par le recours déposé par Thiriez (c’est le cabinet du Premier ministre qui a délivré l’agrément), ne s’est pas présenté. Une théorie a fait son chemin jusque dans les rangs d’Anticor : et si le gouvernement avait délibérément renouvelé l’agrément de l’association sur des bases juridiques floues, comptant sur des alliés providentiels pour le faire annuler dans la foulée ?

Des dossiers subitement fragilisés

« On nous dit qu’on n’a pas le monopole de la lutte contre la corruption, mais qu’on juge au fond, que le ministère public fasse son travail », demande Élise Van Beneden. Si l’association venait à perdre son agrément, qu’adviendrait-il de ses dossiers, dont certains pourraient être subitement fragilisés ? Les autres organisations de lutte contre la délinquance en col blanc ne semblent pas outillées : Sherpa ne travaille que sur la responsabilité sociale des entreprises, et Transparency International est partie civile dans dix contentieux en cours, contre cent cinquante-neuf pour Anticor. « Nous avons un rythme de quinze affaires par an en moyenne », précise encore Élise Van Beneden, pour souligner l’activité de l’association cofondée en 2002 par le juge Éric Halphen.

Dans le pire des scénarios, après avoir épuisé les voies de recours, Anticor pourra déposer une nouvelle demande d’agrément auprès de l’exécutif, seul à décider de qui peut le tenir responsable de ses actions (ce qui n’est pas le moindre des problèmes). Une chose est sûre, ce ne sera pas auprès d’Éric Dupond-Moretti, même si la charge revient normalement au garde des Sceaux. Visé par une plainte de l’association qui dénonçait un conflit d’intérêts entre son ancienne activité d’avocat et sa fonction de ministre, celui-ci est – lui aussi – mis en examen pour prise illégale d’intérêts. Ce serait alors à Élisabeth Borne de trancher. À moins que la Première ministre soit inquiétée par l’affaire de la tour Triangle, sur laquelle la justice enquête… à la suite d’une plainte d’Anticor ?

Source: Télérama.fr