Le pape François et les artistes sur une " ligne de fracture " commune

June 23, 2023
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Entre Michel-Ange et Raphaël, voilà désormais cinquante ans qu’elle trône dans les Musées du Vatican, qui attirent chaque jour 40 000 personnes. Mais dans ces musées gigantesques, au cœur du plus petit État du monde, la collection d’art contemporain est de celles que l’on traverse rapidement avant d’atteindre le clou de la visite, au bout de cet ultime couloir : la chapelle Sixtine.

Le pape François y réunira, vendredi 23 juin, plus de 200 artistes venus du monde entier pour fêter le demi-siècle de l’inauguration de cette « collection d’art religieux moderne des Musées du Vatican », le 23 juin 1973 par Paul VI. En ce même lieu, le pape Montini avait loué l’artiste moderne, « subjectif », cherchant « les motifs de son œuvre plus en lui-même qu’à l’extérieur de lui » et pour cela souvent « éminemment humain ».

Schmitt, Bellocchio, Loach...

C’est ici aussi que le prédécesseur de François avait espéré : « Il existe encore, il existe même dans notre monde aride et sécularisé, parfois même brisé par des profanations obscènes et blasphématoires, une capacité prodigieuse (voilà la merveille que nous cherchons !) d’exprimer, au-delà de l’humain authentique, le religieux, le divin, le chrétien. »

« Un des éléments qui rapproche l’art de la foi est le fait de déranger un peu », affirme le pape à 200 artistes réunis ce matin dans la chapelle Sixtine https://t.co/bl1HJguA1M — LB2S (@LB2S) June 23, 2023

Un demi-siècle plus tard, nul ne sait ce que François dira devant les artistes rassemblés là, dont les écrivains français Éric-Emmanuel Schmitt et Édouard Louis ou les cinéastes Marco Bellocchio et Ken Loach. Mais au Vatican, ceux qui le connaissent insistent sur sa conception de l’art comme une « ligne de fracture » du monde sur laquelle l’Église catholique doit être présente.

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« En créant cette collection, Paul VI avait en quelque sorte demandé pardon aux artistes pour l’incompréhension mutuelle nourrie depuis le milieu du XIXe siècle, retrace Mgr Carlo Maria Polvani, official du dicastère pour la culture et l’éducation. Puis Jean-Paul II et Benoît XVI ont voulu lancer des appels à la collaboration. François a une démarche différente : en étant préoccupé par la douleur du monde, les changements climatiques, les phénomènes d’aliénation, il fait de ces crises un terrain sur lequel il peut retrouver les artistes. »

« François change la donne »

« Dans la perplexité causée par la pandémie, votre créativité peut générer de la lumière », affirmait d’ailleurs François à des artistes qu’il recevait en décembre 2020, en pleine épidémie de Covid-19. « La crise épaissit “les ombres d’un monde clos” et semble obscurcir la lumière du divin, de l’éternel, poursuivait-il. Ne cédons pas à cette tromperie. Nous recherchons la lumière de la Nativité : elle déchire l’obscurité de la douleur et des ténèbres. »

En sortant du débat sur la recherche d’un canon esthétique partagé entre l’Église catholique et les artistes, « François change la donne », poursuit ainsi Mgr Polvani. « Est-ce que l’Église est là pour changer la culture dont elle a perdu le contrôle, ou partager un chemin commun avec l’art ? François choisit la deuxième option. » La seule possible, semble-t-il, dans un monde où l’artiste n’a plus besoin de la religion pour s’exprimer, et où l’Église a perdu toute capacité d’édicter les canons esthétiques ou formels.

« On a besoin de l’art pour porter une vision globale sur l’humanité »

« L’art a le pouvoir de dire toutes les douleurs, tous les défis de l’humanité », renchérit Micol Forti, conservatrice de la collection d’art contemporain aux Musées du Vatican. Elle souligne l’attachement de François aux « drames de notre temps » et sa perception de la culture comme « une parcelle de mosaïque de notre époque ». « Pour lui, on a besoin de l’art pour porter une vision globale sur l’humanité. Pour dire la souffrance, mais aussi l’espoir. »

Aux Musées du Vatican, la conservatrice a travaillé à l’accrochage de dix des 9 000 œuvres des collections – elles étaient 950 en 1973. Parmi elles figure une photographie monumentale, exposée dans la chapelle Saint-Pie-V, extraite d’une série du photographe français Alain Fleischer, L’Éternel et l’Infini. Ou encore un crucifix du sculpteur Mimmo Paladino, constitué de 33 blocs de terre cuite émaillée sur une croix d’un bois ancien, fracturé et usé, où affleurent clous et boulons.

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Extrait. « L’artiste moderne est subjectif (…) mais précisément pour cela, il est souvent éminemment humain »

Extrait du discours de Paul VI, le 23 juin 1973, lors de l’inauguration des collections « d’art religieux moderne » des Musées du Vatican

« Il n’est pas vrai, nous semble-t-il, que les critères des directeurs de l’art contemporain ne soient marqués que par l’empreinte de la folie, de la passion, de l’abstractionnisme purement cérébral et arbitraire ; oui, l’artiste moderne est subjectif, il cherche les motifs de son œuvre plus en lui-même qu’à l’extérieur de lui, mais précisément pour cela, il est souvent éminemment humain, il est hautement appréciable. (…) Cet Art (…) nous oblige à le connaître, c’est-à-dire à y lire l’âme de l’artiste, ou plutôt l’âme contemporaine, dont lui, savant ou non, est l’interprète et le miroir sensible. »

Source: La Croix