Tournée de Le Drian : plus de questions que de réponses
« Je ne viens porteur d’aucune option. » Dans son point de presse après son entretien avec le patriarche maronite Béchara Raï, Jean-Yves Le Drian, l’envoyé spécial du président français Emmanuel Macron au Liban, a confirmé ce que tout le monde savait déjà. Sa visite vise uniquement à sonder les différents acteurs dans l’espoir de trouver une entente permettant au Liban de sortir du vide présidentiel en cours depuis bientôt huit mois. Le diplomate a rencontré jeudi les principaux dirigeants libanais pour tenter de les convaincre de surmonter leurs divergences et ouvrir la voie à l’élection d’un chef de l’État. Dans cette optique, il a posé plus de questions que donné de réponses. Une mission « d’écoute et de concertation », selon ses propres termes.
Page tournée
M. Le Drian mène en effet sa tournée après la douzième séance électorale tenue au Parlement, qui a ôté au candidat soutenu par le Hezbollah Sleiman Frangié le statut d’unique prétendant sérieux sans l’éliminer de la course pour autant. Or c’est en partant du principe que le leader des Marada est la seule option viable que la France a longtemps poussé pour un troc « réaliste » entre la présidence de la République, qui irait à Sleiman Frangié, et le poste de Premier ministre, qui reviendrait à une figure du camp adverse. Une proposition qui s’est heurtée à l’opposition des partis chrétiens qui se sont entendus sur la candidature de l’ancien ministre des Finances Jihad Azour, mais aussi celle des autres puissances étrangères impliquées dans le dossier libanais, ce qui a poussé Paris à revoir sa copie. « La page de l’ancienne initiative française est tournée », a assuré jeudi Samir Geagea, chef des Forces libanaises, principal parti de l’opposition au camp du Hezbollah.
L’emploi du temps de Jean-Yves Le Drian était particulièrement chargé jeudi. Le diplomate français a rencontré le patriarche maronite Béchara Raï à Bkerké, avant de s’entretenir avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati. Il s’est également concerté avec Samir Geagea et Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre. Alors que Jihad Azour ne se trouve pas actuellement au Liban, M. Le Drian s’est entretenu avec son rival Sleiman Frangié, mais aussi avec l’ancien ministre Ziyad Baroud, perçu comme une potentielle troisième voie. Fait notable, c’est uniquement à l’issue de son entretien avec le chef de l’Église maronite que M. Le Drian a fait une déclaration à la presse. Une démarche qui pourrait être symbolique, alors que Bkerké a exprimé à maintes reprises (la dernière en date lors de la visite de Mgr Raï à Paris il y a quelques semaines), au nom des chrétiens, son opposition à la formule française de troc. « Nous avons partagé nos inquiétudes sur la situation de blocage politique, mais aussi sur les conséquences de la crise économique et de la crise sociale qui touche tous les Libanais », a déclaré Jean-Yves Le Drian depuis Bkerké. « Je ne viens porteur d’aucune option. Je veux écouter tout le monde », a ajouté l’émissaire français, martelant que « la solution vient d’abord des Libanais ».
« Soutien ferme à Frangié »
Cet appel à une entente interlibanaise se heurte d’ores et déjà à l’intransigeance des protagonistes concernés : entre un camp, celui du Hezbollah, qui vide le principe de dialogue de sa substance en refusant de considérer tout autre option que Frangié, et un autre, celui de l’opposition, qui refuse de céder à ce qu’il considère être un leurre, l’impasse semble partie pour durer. Dans un message vidéo diffusé sur les réseaux sociaux après son entretien avec M. Le Drian, M. Geagea a ainsi affirmé que l’élection présidentielle doit surtout être l’affaire des « 128 députés libanais ». « Nous n’avons pas besoin d’une médiation des puissances étrangères pour élire un président », a-t-il ironisé, tout en remerciant l’émissaire français pour ses efforts. Des sources proches du patriarche Raï ont indiqué de leur côté à l’agence de presse al-Markaziya que l’Église maronite considérait que le dialogue devait avoir lieu « dans l’enceinte du Parlement et conformément à la Constitution ».
Dès son arrivée à Beyrouth mercredi, Jean-Yves Le Drian s’est entretenu avec le président de la Chambre Nabih Berry. Une rencontre « bonne et franche », selon les termes du maître du perchoir. « Nabih Berry a clairement fait comprendre à M. Le Drian qu’il était attaché à la candidature de Sleiman Frangié, qui garantit l’unité du pays et préserve l’accord de Taëf », selon un proche de Aïn el-Tiné. Il a promis que le chef des Marada assurerait une couverture à un gouvernement réformiste chargé du sauvetage économique du pays. Il s’est également engagé à faciliter le processus de formation de tout cabinet conforme aux attentes de la communauté internationale et de l’Arabie saoudite en fournissant les garanties nécessaires pour le maintenir. Pour le chef du législatif, Riyad doit impérativement être partie prenante de l’entente qui doit mener à l’élection du prochain chef de l’État. Le point de vue de M. Berry ne diffère pas de celui du Hezbollah, selon des sources proches du tandem chiite. « Le parti de Dieu soutient la nomination de Frangié et veut un président en qui il a confiance. En contrepartie, il est prêt à faire des concessions dans le processus de formation du gouvernement et à garantir qu’il ne sera pas renversé », explique une figure proche du Hezbollah. Selon les milieux du 8 Mars, le parti de Dieu et, derrière lui, Téhéran cherchent à consolider le rapprochement irano-saoudien au Liban et veulent que l’élection de Frangié se fasse dans le cadre d’un « package-deal » avec toutes les composantes. « Notre soutien à Sleiman Frangié est ferme, même si le vide politique vient à se prolonger », affirme la figure précitée.
Cherchez l’Iran
À l’heure où les deux camps durcissent leur position, la solution viendra-t-elle, comme à l’accoutumée, de l’étranger ? Selon une source diplomatique arabe, le dossier libanais a été évoqué lors de la visite du ministre saoudien des Affaires étrangères Fayçal ben Farhane à Téhéran. Les Iraniens auraient alors fait comprendre aux Saoudiens qu’ils souhaitaient coopérer avec eux au Liban et y maintenir leur rôle. « L’Iran pourrait demander au Hezbollah d’abandonner la candidature de Sleiman Frangié au profit d’une figure consensuelle, en échange de garanties politiques ou militaires, mais surtout économiques », selon la source précitée. Et de rajouter : « Alors que le Hezb est accusé d’avoir isolé le Liban et conduit à sa ruine, des investissements arabes dans le pays arrangeraient ses affaires et ceux de l’Iran. » Il s’agit d’une tentative de ressusciter l’équilibre établi au Liban dans les années 1990, à l’époque de la cohabitation entre l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et le Hezbollah, qui tirait sa force de l’accord entre Téhéran et Riyad à l’époque du président iranien Mohammad Khatami.
Mais on en n’est pas encore là malgré les positions des puissances internationales intéressées par la question libanaise. Dernière en date, les déclarations de l’ambassadrice américaine au Liban Dorothy Shea, il y a deux jours, sur la nécessité d’élire un président « conformément aux critères déjà définis dans la déclaration de New York entre Paris, Washington et Riyad ». En marge de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier, les ministres des Affaires étrangers de ces trois capitales avaient appelé à l’élection « d’un président non corrompu qui puisse unir le peuple libanais et travailler avec les acteurs régionaux et internationaux pour surmonter la crise actuelle ».
Source: L'Orient-Le Jour