Au Soudan, le général " Hemetti " à la conquête du pouvoir

April 29, 2023
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DécryptagesDes milices janjawids à la mainmise sur les mines d’or, en passant par la guerre du Yémen et la chasse aux migrants, l’ancien chef de guerre devenu numéro deux de la junte au pouvoir incarne l’histoire récente et meurtrie du Soudan.

Depuis le 15 avril, les combats font rage au Soudan, notamment dans la capitale, fait inédit dans l’histoire récente de ce pays pourtant déchiré par trois décennies de guerres civiles, qui ont affecté les régions périphériques en épargnant la capitale. La guerre, cette fois, n’oppose pas le centre aux périphéries, mais a éclaté au sommet de l’Etat. Le conflit met aux prises les deux hommes forts de la junte militaire arrivée au pouvoir après un coup d’Etat, en octobre 2021, qui mettait fin à une transition démocratique instaurée après la chute de la dictature d’Omar Al-Bachir (1989-2019). Ce dernier avait été déposé à la suite d’un soulèvement populaire massif et pacifique. Après avoir écarté, dans un second temps, le gouvernement de transition associant civils et militaires, en 2021, les deux généraux s’étaient installés à la tête du Soudan, codirigeant le conseil de souveraineté, mais incapables de contenir leurs antagonismes.

D’un côté, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, à la tête des forces armées soudanaises (FAS), l’armée régulière, est issu, comme la majeure partie de l’élite militaire soudanaise, de la vallée du Nil. De l’autre, le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti » (« qu’il nous protège »), est originaire d’une tribu dite « arabe » (appartenant au groupe des Rizeigat) de la région du Darfour (ouest du Soudan) et commande les Forces de soutien rapide (FSR), l’unité paramilitaire la plus puissante du pays. Son parcours singulier – du commerce de chameaux, à la frontière entre Soudan et Tchad, au commerce de l’or, de la guerre au Darfour aux liens avec la Russie et avec les Emirats arabes unis – est emblématique des événements géopolitiques qui ont marqué le pays au cours des dernières décennies.

1975-2003 : le chamelier Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », naît au milieu des années 1970 au sein des Ouled Mansour, une tribu du groupe des Arabes Rizeigat, éleveurs de chameaux. Sa famille migre du Tchad au Darfour (Soudan) dans les années 1980. Adolescent, Mohammed Hamdan Daglo quitte l’école : il prospère dans le trafic de chameaux à travers le Sahel et devient commerçant. Pendant ce temps-là, à Khartoum, en 1989, un coup d’Etat militaire soutenu par le Front national islamique porte le général Omar Al-Bachir au pouvoir. 2003-2013 : le milicien « Hemetti » rejoint les janjawids, « démons à cheval », des miliciens arabes mobilisés par Khartoum pour éradiquer la rébellion au Darfour. Ils détruisent des villages entiers ( ), provoquant l’exode de près de 3 millions de personnes dans des camps ( ) au Darfour et au Tchad. 2013-2015 : l’homme de confiance du dictateur En 2011, après une longue guerre civile (1983-2005), le Soudan du Sud obtient son indépendance. Khartoum perd 80 % de ses ressources pétrolières. Al-Bachir lance alors la ruée vers l’or : un grand gisement ( ) est découvert en 2012 au Darfour. Le Soudan devient en dix ans le troisième producteur africain. En 2013, le président Al-Bachir crée les Forces de soutien rapide (FSR), une unité paramilitaire composée d’anciens janjawids, pour diminuer le poids de l’armée régulière. « Hemetti » est promu général et prend le commandement des FSR. Il se rend à Khartoum à la demande d’Al-Bachir, pour mater les premières manifestations contre le régime. Son action se concentre ensuite au Darfour, dans le Sud-Kordofan et le long du Nil Bleu. 2015-2019 : le businessman En 2015, le Soudan participe à la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU) contre les rebelles houthistes du Yémen. « Hemetti » envoie 16 000 hommes des FSR. C’est là qu’il noue des liens avec Abdel Fattah Al-Bourhane, qui coordonne alors l’opération pour Khartoum. Lorsque le Soudan est mandaté par l’Union européenne pour arrêter le flux migratoire en provenance de la Corne de l’Afrique vers la Libye, en 2016, les hommes de « Hemetti » sont chargés du contrôle des frontières. Ils sont accusés par la suite de « revendre » les migrants interceptés à des trafiquants libyens. Profitant de la disgrâce de l’ancien chef janjawid Musa Hilal, devenu trop menaçant pour Al-Bachir, « Hemetti » prend le contrôle des mines d’or du djebel Amer en 2017. Les contacts noués pendant la guerre au Yémen avec les EAU lui ouvrent le marché de l’or de Dubaï. Il devient l’un des hommes les plus riches du Soudan, et ses FSR se voient octroyer plus d’autonomie par Al-Bachir, creusant le fossé avec l’armée. 2019-2021 : le politicien A partir de décembre 2018 ont lieu des manifestations contre le régime d’Omar Al-Bachir. « Hemetti » sent le vent tourner. Après le renversement du dictateur, le 11 avril 2019, il devient le numéro deux du général Al-Bourhane, le chef de l’armée régulière, au sein du conseil de souveraineté, qui, à partir de juillet, partage le pouvoir avec le gouvernement civil. Si une partie des manifestants prodémocratie le voient comme un héros, ses miliciens participent, le 3 juin, au massacre de plus de 130 manifestants à Khartoum. « Hemetti » poursuit son ascension. En 2019, ses hommes sont envoyés en Libye, en soutien aux forces du maréchal Haftar. En 2020, il est l’un des négociateurs de l’accord de paix entre Khartoum et plusieurs groupes rebelles soudanais. 2021-2023 : le numéro deux qui se rêvait numéro un Le 25 octobre 2021, « Hemetti » et Al-Bourhane renversent le gouvernement de transition. Une alliance opportuniste. Al-Bourhane est un militaire de carrière bénéficiant du soutien de l’armée et de l’Egypte, mais il favorise aussi le retour du mouvement islamiste soudanais. « Hemetti », lui, se démarque de l’armée et s’offre les services de communicants pour polir son image. Il tisse un réseau diplomatique avec des visites officielles en Ethiopie, en Erythrée, au Tchad, en Turquie, aux EAU ou encore en Russie, où il se rend à la veille de l’invasion de l’Ukraine. Une visite liée à la présence au Soudan du groupe paramilitaire russe Wagner, actif dans la sécurité et le commerce de l’or. 2023 : le général en guerre Le conflit larvé entre les deux hommes forts de la junte éclate le 15 avril, lorsque les forces régulières d’Al-Bourhane et les FSR de « Hemetti » s’affrontent à Khartoum et dans le reste du pays, notamment au Darfour. Al-Bourhane dénonce une « trahison », « Hemetti » affirme lutter contre les islamistes qui gangrènent l’armée. La population de Khartoum, 5 millions d’habitants, est piégée par les combats. Sources : ICG ; Acled ; Small Arms Survey ; J. Tubiana, « La « transition » du Soudan vue par ses périphéries », Observatoire Afrique de l’Est, 2019 ; G. Prunier, « Au Soudan, le général Hemetti à la manœuvre », Orient XXI, 2020 ; Clingendael ;

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Source: Le Monde