la trêve française d’un vétéran ukrainien de 21 ans
RencontreArtem Petrovskyi, qui a perdu une jambe en mai 2022 sur le front près de Kharkiv, fait partie de la petite vingtaine de soldats ukrainiens actuellement soignés en France. Dans un centre de rééducation, près de Paris, cet enfant de la guerre ronge son frein, impatient de retourner au combat.
Un centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle, quelque part en région parisienne. Sur des fauteuils roulants, des amputés, souvent des suites d’accident de la route ou de diabète sévère. Et Artem Petrovskyi, un soldat ukrainien parmi la vingtaine actuellement soignée en France. Lui a été victime d’un obus russe qui lui a arraché la jambe gauche, à 2 500 kilomètres d’ici, près de Kharkiv.
Son autre guibolle a été fracturée en trois endroits. Elle est corsetée d’attelles et crucifiée de multiples broches métalliques. Le blessé n’a plus de rate et a souffert d’infections aux intestins. Il lui reste aussi les cicatrices laissées par des éclats métalliques qui l’ont transpercé l’un à l’épaule et l’autre près du cœur. Il a également pris un éclat dans l’oreille qui gêne son audition.
Le blessé arbore un sweat-shirt floqué d’une arme et des couleurs de son pays. Il porte au côté une sacoche où il est écrit « vétéran ». Il l’est, en effet. Il l’est déjà, vétéran, ce gamin aux joues duveteuses, à la mine d’adolescent, broyé avant l’heure dans les mâchoires de la guerre. Sur une table de sa chambre, sont posés deux chiffres gonflables couleur or – un 2 et un 1 – que des exilés ukrainiens ont apportés le 27 décembre 2022, jour de son anniversaire. Il a bien 21 ans, cet ancien combattant qui a tout vu de l’horreur des combats et qui devra s’en remettre, physiquement autant que moralement. Il est à l’entame de sa vie et, à cette orée, mutilé pour toujours, d’un membre et du droit à l’insouciance de la jeunesse.
On devine le trauma
Le soldat raconte ce qui lui est arrivé, en massant régulièrement un moignon qui le démange, comme si la jambe absente se rappelait à lui en même temps que les souvenirs. Son sourire permanent, son humour à froid, sa manière lymphatique de tirer sur sa cigarette à basse combustion, de biberonner sa bouteille isotherme remplie de café soluble, tout en racontant les corps-à-corps, les fusillades à bout portant, ne sont qu’un leurre. On devine le trauma. L’esprit sera plus long encore à cautériser que le corps.
Son récit est un mélange de moments très détaillés, de mémoire photographique et même cinématographique, entrecoupés de larges ellipses où son cerveau cherche en vain le fil. Il a des trous noirs, des « passages à vide », comme il dit. « J’ai oublié beaucoup de choses. » Le jeune homme ne souffre pas à proprement parler d’amnésie. C’est plutôt que sa blessure a donné une nouvelle hiérarchie à sa vie. Cette commotion a écrasé, rendu contingent tout ce qu’il a emmagasiné en lui avant le début de l’invasion russe.
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Source: Le Monde