Fin de vie : le réquisitoire du Sénat contre l’aide active à mourir
« L’autorisation de l’aide active à mourir rendrait-elle notre société meilleure ? » Cette question a servi de fil rouge au travail conduit, ces derniers mois, par la mission d’information sénatoriale sur la fin de vie. La lecture de son rapport, adopté mercredi 28 juin par la commission des affaires sociales, apporte une réponse sans ambiguïté : non, et même trois fois non, comme l’indiquent les têtes de chapitres qui rythment ce document de quelque 200 pages.
D’entrée de jeu, l’aide active à mourir est ainsi qualifiée de « réponse inappropriée et dangereuse à une demande diffuse et équivoque », avant que la perspective de son autorisation soit présentée comme « périlleuse à bien des égards », pour conclure que le « modèle français de fin de vie » souhaitable doit « privilégier la sollicitude au nihilisme ».
Une dureté de ton assumée
Sur la forme comme sur le fond, l’exercice s’apparente à une entreprise systématique de démolition des principaux arguments avancés par les partisans d’une évolution de la loi. Un argumentaire appuyé par une dureté de ton pleinement assumée par Corinne Imbert, sénatrice apparentée Les Républicains de Charente-Maritime, une des trois rapporteures du texte.
« Nous ne mâchons pas nos mots, c’est vrai. Mais c’est aussi une manière de répondre à la méthode contestable imposée par le président Macron et son gouvernement, qui ont tout fait pour orienter le débat et continuent de se comporter comme si les jeux étaient faits, alors que le sujet n’a pas été traité en profondeur », souligne-t-elle.
C’est ce travail d’analyse critique des raisons expliquant cette « préférence collective » pour l’aide active à mourir, des complications qu’il y aurait à la mettre en place et des « dommages collatéraux » que cela pourrait entraîner, qu’expose le rapport à grand renfort de données, d’études scientifiques et de paroles d’experts consultés lors d’une trentaine d’auditions.
Une multiplication des mises en garde
D’une discussion sur la « relativité des sondages » à l’exposé des « difficultés pour définir des critères évaluables » d’accès à l’euthanasie ou au suicide assisté en passant par « les risques de pression des plus vulnérables » ou la menace d’une « marchandisation de la mort choisie », la mission sénatoriale égrène ainsi les mises en garde contre le projet de loi annoncé par le président Macron le 3 avril dernier et que la ministre Agnès Firmin Le Bodo doit présenter avant la fin de l’été.
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« Le principal péril est l’impossibilité de fixer un cadre strict et stable dans le temps. Dès lors qu’on autorise l’aide active à mourir pour certains malades, la loi s’élargira à d’autres comme on le constate dans à peu près tous les pays qui ont légalisé l’aide active à mourir », soutient Corinne Imbert.
«Nous réaffirmons ce que nous défendions dans notre rapport sur les soins palliatifs de 2021 :il faut mieux faire connaître et mieux appliquer la loi Claeys-Leonetti de 2016 qui est un trésor national et se donner, enfin, les moyens financiers et humains d’améliorer ce modèle français basé sur l’éthique du soin et de l’accompagnement, la base d’une société attentive aux plus fragiles », ajoute Christine Bonfanti-Dossat, élue LR de Lot-et-Garonne.
Une sénatrice qui marque sa différence
Un message partagé par Michelle Meunier, sénatrice PS de Loire-Atlantique et troisième rapporteure du texte, mais jusqu’à un certain point. « Je fais le même constat de la nécessité de développer les soins palliatifs pour les rendre accessibles à tous et partout, ce qui est encore loin d’être le cas », convient-elle. « En revanche, les craintes et les inquiétudes exprimées par mes collègues me paraissent non fondées. Laisser croire, par exemple, que l’on pourrait demain euthanasier des personnes pour faire des économies me paraît une élucubration. Un chiffon rouge que l’on agite pour faire peur », réagit-elle.
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Pour marquer sa différence, l’élue a eu libre cours d’ajouter une partie en fin de rapport où elle expose ses arguments en faveur d’une « ouverture d’un droit à mourir dans la dignité » : « Je sais que cette position de la gauche sénatoriale est minoritaire. Cela n’empêchera pas mon groupe de représenter dès l’automne une proposition de loi sans attendre un projet gouvernemental mal engagé », promet-elle.
Ses deux collègues de l’opposition doutent elles aussi de la capacité de l’exécutif à aboutir avant l’été. « Entre les ministres qui sont pour et ceux qui sont contre, ça part un peu dans tous les sens. Ce doit être cela le “en même temps”, ironise Christine Bonfanti-Dossat. Mais finiront-ils par s’entendre ? »
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Un projet de loi qui évite le mot « euthanasie »
Un document de travail présenté par la ministre Agnès Firmin Le Bodo au groupe de parlementaires associés à la rédaction du projet de loi sur la fin de vie, précise les contours du texte qui doit être présenté avant la fin de l’été.
L’article premier définit « un droit de bénéficier d’une aide active à mourir », mais il est précisé que « la définition ne doit pas comporter les termes d’euthanasie ou de suicide ».
Les conditions d’accès sont ainsi détaillées : « La personne doit être majeure, atteinte d’une affection grave et incurable qui engage son pronostic vital à moyen terme, et capable de discernement pour exercer un choix autonome. »
Le document précise que le délai du pronostic vital peut varier selon les pathologies « dans une fourchette de 6 à 12 mois ».
Source: La Croix