Fin des tarifs réglementés du gaz : à Strasbourg, aucun concurrent pour éviter un abonnement plus cher
Dès samedi 1er juillet, les tarifs règlementés du gaz naturel disparaîtront en France. À Strasbourg, 50 000 ménages verront leur facture augmenter, sans possibilité de trouver une offre équivalente ni de faire jouer la concurrence entre fournisseurs.
En avril 2023, 50 000 ménages strasbourgeois ont reçu un courrier du fournisseur Électricité de Strasbourg (ÉS). Ils ont alors appris que leur contrat « basculera » au 1er juillet 2023. Avec la loi Énergie-Climat de 2019 et pour se mettre en règle avec une directive européenne de 2017, les contrats de gaz dont les prix sont fixés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) vont disparaître. Ce sont des abonnements souscrits avant novembre 2019 chez ÉS, indexés sur les tarifs réglementés de vente – par exemple ceux intitulés « Tarif réglementé C+ ».
50 000 foyers vont changer de tarif
Exit donc les prix plafonds contraignants décidés par l’autorité indépendante. Désormais, pour la partie variable de la facture de gaz, seul le marché déterminera le prix du kilowattheure (kWh). La Commission de régulation continuera de déterminer des tarifs « de référence » mais ils n’obligeront en rien les fournisseurs. Selon l’autorité, ces informations ont simplement pour but « d’apporter de la transparence en matière de formation des prix des offres proposées, et de l’information aux consommateurs ».
À Strasbourg, tous les ménages concernés par ce changement de règlementation sont des clients d’ÉS. Les abonnés du fournisseur Ekwateur, unique concurrent à l’entreprise historique de distribution, n’ont jamais bénéficié de tarifs réglementés.
Un changement, beaucoup d’incompréhensions
Quel que soit le contrat choisi pour la suite, celui-ci est composé de deux parts : une fixe (l’abonnement, qui correspond aux coûts de réseau et d’acheminement…) et une qui dépend de la consommation réelle (kilowattheures consommés).
« Peu de clients comprennent vraiment ce que tout ça veut dire », souffle Daniel Bonnot, vice-président de l’association Consommation logement cadre de vie (CLCV). Même écho pour l’UFC Que choisir 67 et son bénévole en charge des questions d’énergie, Philippe Fussler : « C’est technique le gaz, avec toutes les taxes, les parties fixes, les variables, l’abonnement, la consommation… ».
Par défaut, la « bascule »
Par défaut, les clients ÉS dont le contrat s’éteint au 1er juillet souscriront automatiquement à une offre « de bascule », sans démarche à effectuer. Résiliable sans délai et reconduit tacitement tous les ans, le contrat propose un tarif indexé sur les prix du marché. Dans le courrier reçu par les clients, il est indiqué que le kilowattheure coûtera, en principe, 0,087 euros – contre 0,074 en mars et avril 2023. L’augmentation du kilowattheure atteint ainsi près de 18%. ÉS précise que le prix est amené à varier.
Du côté de la part fixe du contrat, l’abonnement sera aussi plus cher avec une augmentation moyenne de 59% au 1er juillet, selon l’Union française des consommateurs (UFC) Que Choisir du Bas-Rhin. Ainsi un client qui payait 44,2 euros hors taxes pour deux mois d’abonnement s’est vu proposer un abonnement à 37,32 euros par mois dès juillet. Sans possibilité, donc, de contester cette hausse.
Un abonnement plus cher
Contacté, ÉS explique que les tarifs proposés dans cette offre « bascule » sont indexés sur les recommandations nationales d’avril et qu’ils seront adaptés, au 1er juillet, selon les nouvelles publications de la CRÉ. « Un gage de sérieux », précise la communication de l’entreprise en réponse aux questions de Rue89 Strasbourg.
Philippe Fussler, bénévole à l’UFC que choisir 67, nuance :
« ÉS n’a aucune contrainte légale de se conformer aux recommandations de la CRÉ. Si nous voulions mener une action contre le prix de l’abonnement que nous trouvons abusif, je ne sais pas devant quelle juridiction elle serait recevable. C’est très incertain. »
En ce moment, les prix du gaz baissent (-12,5% entre mars et avril 2023). ÉS estime que l’augmentation du prix de l’abonnement est compensée par cette baisse du coût du kilowattheure. Pourtant, l’UFC Que Choisir a une lecture plus critique des prix annoncés :
« Selon nos calculs, les petits consommateurs de gaz (6 000 kWh/an) paieront 13% en plus malgré la baisse des prix du marché. Le coût de l’abonnement ne sera pas compensé pour eux. Pour les consommateurs moyens (10 000 kWh/an), l’augmentation sera de 5,5%. À partir de 16 000 kWh/an, le prix s’équilibre et les plus gros consommateurs auront une facture plus petite. C’est contre-intuitif, il faudrait que l’on incite à consommer mois. Là c’est l’inverse. »
Une offre fixe onéreuse mais plus prévisible
S’ils veulent choisir un contrat autre que celui proposé automatiquement par ÉS, les Strasbourgeois auront deux possibilités pour déterminer le mode de calcul de leur budget gaz. La première est une offre à « prix fixe », souvent plus chère mais plus prévisible. Il en existe quatre à Strasbourg, selon le comparateur d’offres de gaz sur le site du médiateur de l’énergie. « C’est ce qu’on recommande à terme aux clients qui veulent avoir de la visibilité sur les dépenses liées au gaz pendant un à trois ans », explique Daniel Bonnot, de la CLCV. Le prix fixé dépend de l’estimation de consommation du gaz (chauffage, eau, cuisson…).
Ces offres, proposées par Ekwateur et ÉS, ont souvent un prix par kilowattheure légèrement plus élevé que le prix réel du marché, mais ne varient pas en cas de grosse augmentation de ce prix. Les variations sont en effet absorbées par le fournisseur, qui assume le risque lié aux variations du prix du marché. Un contrat plus cher donc, mais plus sûr.
C’est pour cette raison que l’UFC Que Choisir 67 conseille de bien étudier ce type de contrats. « En ce moment, les prix du kilowattheure sont bas, c’est donc le moment d’en profiter avant que les fournisseurs augmentent leurs tarifs », précise Philippe Fussel.
Un contrat basé sur le marché, volatile
La deuxième type de contrat d’ÉS est indexé sur les prix du marché. Chaque mois, le fournisseur fixe les prix par kilowattheure en plus du coût de l’abonnement, qui reste fixe. La CLCV conseille de « s’attacher à la sécurité contractuelle plutôt qu’au gain tarifaire » et donc de bien réfléchir avant de baser son choix sur des prix qui paraissent, par moment, plus avantageux. Ces tarifs sont directement liés au marché du gaz naturel et donc, volatiles. Ainsi sur l’année 2022, le prix moyen du mégawattheure de gaz a augmenté de 107% par rapport à la moyenne en 2021.
Comme le précise la communication d’ÉS, « personne ne peut prédire quelle sera la tendance pour les mois à venir sur le marché du gaz ». Philippe Fussler, de l’UFC Que Choisir 67, précise :
« Si une banque fait faillite, si on se met à produire de l’électricité dans des centrales à gaz, si un conflit armé éclate… Tout ça influence le prix, comme celui de l’essence. Sauf que l’essence, on voit le prix à la pompe. Pour le gaz, on le voit juste sur sa facture une fois qu’on en a déjà consommé. »
À Strasbourg, pas de concurrence entre fournisseurs
En théorie, cette libéralisation du marché doit permettre de faire baisser les prix aux consommateurs, selon la théorie que l’ouverture à la concurrence aurait mécaniquement cet effet. Mais à Strasbourg, pas de concurrence. ÉS dispose d’un « quasi-monopole de fait », estime Daniel Bonnot. Pour le code postal 67 000, ÉS et Ekwateur sont les seuls fournisseurs de gaz disponibles. L’un est une entreprise locale de distribution, historique, l’autre un nouvel entrant cumulant environ mille abonnés à Strasbourg.
Dans d’autres parties du Bas-Rhin, à Sélestat ou Saverne par exemple, les clients ont le choix « jusqu’à 30 fournisseurs différents », assure Philippe Fussler. Pour l’UFC Que choisir 67, tant l’absence de concurrence que le grand nombre de fournisseurs sont problématiques. « À Saverne, ils ne comprennent plus rien à entre tout ce qu’ils peuvent choisir. C’est pour ça que les associations de consommateurs sont mobilisées sur la question », estime-t-il.
Peu de probabilité pour l’ouverture à la concurrence
Interrogé sur la probabilité d’une plus grande concurrence entre fournisseurs dans les années à venir, Philippe Fussler semble dubitatif :
« Avec la crise sur le gaz, certains opérateurs sont sortis du marché. Ils proposaient des offres fixes et se sont retrouvés coincés à acheter le gaz bien plus cher qu’ils ne le vendaient. Aujourd’hui, ces sociétés hésitent à revenir. Je crains que dans les années à venir, seule la loi du marché conditionnera les prix des clients. »
D’autant plus que le coût de gestion est particulièrement élevé à Strasbourg, comme l’explique Julien Tchernia, co-fondateur du fournisseur d’Ekwateur :
« Ce qui est compliqué à Strasbourg, c’est le coût du réseau qui est plus élevé que dans d’autre secteurs en France. En tant que fournisseur, nous achetons du gaz pour le revendre à nos clients, mais nous devons payer l’utilisation des tuyaux. Plus la personne habite loin du gazoduc, plus le coût sera élevé. Nous discutons en ce moment avec la CRÉ et les gestionnaires du réseau pour résoudre ce problème. D’ici là, Strasbourg n’est pas une zone dans laquelle nous allons faire de la pub par exemple. »
La concurrence pourrait-elle prendre à Strasbourg ? Peu probable selon les deux associations de consommateurs interrogées par Rue89 Strasbourg. En attendant, la CLCV et l’UFC Que Choisir invitent les Strasbourgeois et Strasbourgeoises à les contacter s’ils ont des questions relatives à leur contrats de fourniture de gaz. Les interrogations doivent être nombreuses : à l’agence d’ÉS située rue des bonnes gens à Strasbourg, mercredi 28 juin, il fallait attendre près de deux semaines pour obtenir un rendez-vous avec son fournisseur de gaz…
Source: Rue89 Strasbourg