Le traitement éditorial sur franceinfo de la mort de Nahel à Nanterre
Florent Guyotat, directeur adjoint de la rédaction de franceinfo est au micro d’Emmanuelle Daviet, médiatrice des antennes de Radio France, pour répondre aux questions des auditeurs à propos du traitement éditorial de la mort de Nahel, tué mardi 27 juin, lors d'un contrôle policier à Nanterre.
Depuis la mort de Nahel, tué lors d'un contrôle policier à Nanterre, le 27 juin, suivie de quatre nuits de violences sur le tout le territoire, la médiatrice des antennes de Radio France, Emmanuelle Daviet, a reçu beaucoup de messages d’auditeurs. Le directeur adjoint de la rédaction de franceinfo, Florent Guyotat lui répond.
Emmanuelle Daviet : Ces auditeurs souhaiteraient savoir comment procèdent les journalistes dès le début de l’affaire pour proposer un traitement équilibré ?
Florent Guyotat : Évidemment, la chose la plus importante pour nous, c’est que l’on donne la parole à toutes les parties prenantes. D’un côté, évidemment, la défense du policier, et de l’autre, la famille du jeune homme. Lorsque le policier a été mis en détention provisoire jeudi 29 juin, nous avons immédiatement cherché à joindre son avocat, Laurent-Franck Liénard. Et jeudi soir, il s’est exprimé sur franceinfo, pour nous expliquer qu’elle avait été la réaction de son client, lors de sa garde à vue.
Me Laurent-Franck Liénard : "Mon client, quand il a vu cette image en garde à vue, il est le premier à avoir été choqué. Pourquoi ? Mais parce qu’on voit un policier qui tue un citoyen. Et c’est extrêmement choquant. Il n’y a rien de plus choquant. Évidemment qu’on est tous choqués par cette image. Mais après, il faut se dégager de l’image. Il faut se demander si le tir est légitime ou s’il ne l’est pas. Son collègue est en danger, parce que lui-même est en danger. Et si vous regardez les vidéos en danger…"
Édouard Marguier : En danger parce que le collègue était à l’intérieur de l’habitacle, c’est pour ça qu’il se sentait menacé, lui et sa patrouille finalement ?
Laurent-Franck Liénard : "Tout à fait. Il était à l’intérieur de l’habitacle, et donc il risquait d’être traîné ou écrasé contre le muret. Je rappelle qu’il y a un muret à 40 centimètres. À ce moment-là, il fallait stopper ce véhicule et là, la seule manière de stopper les véhicules, hélas, la seule, c’est d’appliquer un tir sur le conducteur."
Florent Guyotat : Voilà la parole donnée à la défense du policier jeudi soir sur franceInfo, au micro d’Edouard Marguier, dans le 21h/minuit de notre antenne. Et puis bien sûr, nous avons donné la parole également à la famille du jeune homme. Jennifer Cambla, l’avocate de la mère de Nahel, s’est exprimée également. C’était mercredi matin 28 juin, sur franceInfo.
Me Jennifer Cambla : "Ce qu’on peut constater quand on voit les images, c’est que c’est un geste qui est absolument illégitime, et qui ne rentre absolument pas dans un cadre de légitime défense. On voit bien que le policier était sur le côté du véhicule, et que le véhicule était à l’arrêt d’ailleurs, et qu’au moment où il redémarre, c’est là où il tire en plein thorax de Nahel. Se sentir menacé ne suffit pas en fait à justifier le tir d’une balle en plein thorax.
Selon la préfecture, ils ont pu indiquer qu’il y avait eu des infractions routières qui avaient été commises par Nahel au volant du véhicule. Il n’en demeure pas moins que ça reste des contraventions, et que ça ne justifie pas le geste qui a été fait par le policier, et le fait de l’avoir abattu de sang-froid, quelques minutes après."
Emmanuelle Daviet : Florent Guyotat, dans la couverture éditoriale, un autre aspect souligné par les auditeurs, c’est la dimension émotionnelle dans le traitement médiatique de cette affaire extrêmement sensible. Certains estiment qu’il ne faudrait pas accorder autant de place à l’émotion, mais plutôt laisser la justice faire son travail, de manière impartiale. Quelles ont été vos réflexions sur ce sujet, lors des conférences de rédaction ?
Florent Guyotat : Il y a de l’émotion et journalistiquement, on se doit de la relater parce que c’est une réalité. C’est ce que nous avons fait jeudi 29 juin, en nous rendant à Nanterre avec deux reporters, Valentin Dunate et Boris Loumagne, pour couvrir la marche blanche en mémoire de Nahel. Mais nous essayons aussi d’aller au-delà de cette émotion. C’est une préoccupation constante chez nous sur l’antenne de franceinfo, en donnant des clés aux auditeurs, pour se faire une opinion. Comme toujours, nous avons de nombreuses séquences avec notre cellule Vrai du faux, des séquences qui s’appellent Expliquez-nous, où on essaie de donner des clés de compréhension sur des concepts essentiels.
On a essayé d’expliquer aux auditeurs, le plus clairement possible, ce que c’était que le refus d’obtempérer, un concept dont on parle beaucoup. Pour plus de clarté, l’usage des armes à feu également. Qu’est-ce qui est permis ? Qu’est-ce qui n’est pas permis dans la loi, et comment la loi a évolué depuis sa dernière modification en 2017. Et puis, dans cette affaire, tout le monde fait bien sûr référence aux émeutes de 2005. Là aussi, nous avons rappelé aux auditeurs ce qu’étaient ces émeutes, et ce qui s’était passé à l’époque, avec des documents d’archives.
Des auditeurs regrettent que la difficulté du métier de policier ne soit pas suffisamment abordée. Ils soulignent que cette affaire met en lumière les conditions de travail complexes auxquelles sont confrontés les policiers au quotidien. Et ils estiment qu’il serait important d’ouvrir le débat sur cette question. Qu’en pensez-vous ?
Il y a, là encore, une exigence constante d’équilibre. On a donné, je vous le disais, la parole à la famille du jeune homme, et à toutes les personnes qui se sont émues de la mort de ce jeune homme. Mais les difficultés du métier de policier, ce sont aussi des témoignages constants sur notre antenne. On a donné la parole à des policiers, qu’ils soient syndiqués ou anonymes, et qui nous racontent, encore d’ailleurs ce week-end, la difficulté d’assurer le maintien de l’ordre dans ce contexte très particulier.
Dans un contexte aussi tendu, comment la rédaction s’assure de diffuser des informations fiables et factuelles ?
Vous savez, au sein de franceinfo, on dispose d’une Agence interne. C’est un groupe de journalistes, qui est chargé spécifiquement de vérifier les différentes informations qui nous arrivent, en provenance de nos contacts notamment, en provenance des communiqués de presse, et aussi en provenance, bien sûr des réseaux sociaux. Donc, nous sommes très prudents. Nous ne donnons une information que quand elle est validée par plusieurs sources.
Et puis, nous sommes très soucieux aussi de tout ce qu’on peut voir sur les réseaux sociaux, notamment les vidéos, dont on parle beaucoup en ce moment. La vidéo où l’on voit la scène de ce qui s’est passé à Nanterre, avec le tir du policier, et la mort du jeune homme. Elle nous est arrivée, mais nous ne l’avons pas diffusée tout de suite, sur notre site Internet, nous n’en avons pas non plus parlé tout de suite à l’antenne. Nous avons cherché à l'authentifier, sur la base de sources crédibles, et nous avons préféré patienter, pour donner une information la plus vérifiée possible.
Source: franceinfo