Des vacances d'été plus courtes ? "Il y a une question de démocratisation par le temps, qui serait quelque chose d'assez exceptionnel", souligne Jean Viard
Cette semaine, le président de la République, en déplacement à Marseille, a relancé un sujet brûlant : les vacances d'été doivent-elles être raccourcies ? Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Le président de la République, Emmanuel Macron, en déplacement à Marseille cette semaine, a reparlé de la question des vacances d'été. Doivent-elles être raccourcies ? Elles seraient, selon lui, responsables de la fatigue des élèves, d'inégalités aussi, parce que tout le monde ne peut pas se permettre de partir en bord de mer l'été. On a entendu sur franceinfo cette semaine les pour et les contre.
franceinfo : Si on se penche un peu sur l'histoire de ces vacances d'été, à l'origine, Jean Viard, elles devaient permettre de libérer de la main-d'œuvre dans les champs ?
Jean Viard : À l'origine de l'origine, en fait, c'étaient les tribunaux qui étaient fermés – la vacance des tribunaux – parce que les juges voulaient aller surveiller leur propriété rurale. Donc, au fond, on surveillait les ouvriers. Effectivement, les ouvriers, c'était essentiellement, y compris les instituteurs qui n'étaient d'ailleurs pas payés pendant les vacances, et qui donc travaillaient aux champs, et puis les enfants, qui allaient travailler aux champs avec leurs parents. Donc c'est vrai qu'au départ, c'est le rite rural qui rentrait dans la société avec Jules Ferry, l'école obligatoire, etc. Et on a arrêté l'école l'été.
Puis, petit à petit, on a développé les vacances intermédiaires, et en 1980, avec la cinquième semaine de congés payés, on a fait entre Noël et le jour de L'an, en gros un pont, tout le monde l'a mis là. Et donc il y a deux moments, où la société s'arrête pour tout le monde. C'est du 1er au 15 août et entre Noël et le jour de L'an, donc, ce sont les deux moments de vacances collectives. Et puis après, effectivement, il y a à peu près 60 à 70% des gens qui partent en vacances. Il y a une concentration de deux groupes qui ne partent pas : d'une part, les gens très très pauvres, bien entendu, encore que ça peut dépendre des réseaux familiaux. Mais surtout, les deux groupes qui ne partent pas, ce sont les mamans seules avec enfants – il y a à peu près 2 millions d'enfants, 1.700.000 mamans seules, dont 700.000 au RSA. Et de l'autre côté, il y a effectivement les jeunes des banlieues, ceux qui, en ce moment, sont en train de se révolter partout.
Cette jeunesse au fond, exclue du mouvement général de la société, et qui se sent exclue, c'est ce qu'elle dit tous les jours, en ce moment en manifestant, mais y compris parce qu'elle ne part pas. Et donc elle n'est pas en train de préparer ses vacances d'été. Cette jeunesse-là, elle sait qu'elle va rester dans son HLM, tourner en rond dans la cour. Et le président de la République, quand il intervient là-dessus, il dit : bon, si les vacances d'été étaient égales pour tout le monde, ça serait mieux, il n'a pas tort. La longueur des vacances n'est pas le seul sujet. La cohésion de la société, ce que font les enfants pendant l'été, la qualité des cours, sont des éléments importants. Donc ça, c'est une première chose.
La deuxième chose, c'est que le réchauffement climatique n'est pas favorable à nos bâtiments scolaires. Déjà, maintenant, ils n'ont pas la clim, c'est très rare, ça coûte une fortune de climatiser toutes les écoles. Elles ont toutes généralement des fenêtres immenses pour qu'on y voit clair. Donc ce sont des bâtiments très sensibles à la chaleur. Donc ce n'est pas si facile que ça d'allonger la période des cours. Ça coûterait certainement très cher.
Mais on voit bien que l'idée même de raccourcir ces vacances, elle crée des crispations dans le milieu du tourisme, chez les commerçants notamment. Ce serait un grand chamboulement ?
Il y a deux problèmes. Moi, je suis pour que chaque famille ait le droit de partir une semaine en vacances quand elle veut, dans l'année, même pendant les cours. Je pense qu'il faut donner de la souplesse au temps, on m'a dit qu'on le faisait en Italie. De toute façon, si l'enfant a la grippe ou s'il est malade, il manque une semaine. Si on donnait une semaine de départ en vacances à la discrétion des familles, soit parce qu'il y a des membres du couple qui ont un voyage d'affaires ou autre, soit tout simplement pour aller au ski, quand il y a de la neige, et que les prix ne sont pas élevés, car tout le monde va à la neige en même temps, donc c'est très cher.
Il y a une question de démocratisation par le temps, qui serait quelque chose d'assez exceptionnel, disons déjà pour ceux qui partent, et aussi pour que ça coûte moins cher, si vous partez en vacances fin septembre, ce n'est pas du tout le même prix. Donc je pense qu'il y a la question du temps, qui est une vraie question de la souplesse du temps. Ce n'est pas forcément de réduire la durée des vacances, parce qu'effectivement, la demande des professionnels est légitime. Le tourisme, c'est 7 à 8% de l'activité économique française, et donc c'est normal d'y réfléchir. Il y a aussi des accidents de la route, c'est normal d'étaler un peu.
En moyenne, les Français ont cinq semaines de congés payés, ils partent en moyenne 15 jours, et puis les enfants sont beaucoup plus en vacances. Donc la question, c'est : qu'est-ce qu'on fait des enfants quand les parents travaillent ? Renforcer le lien avec les grands-parents me semble un enjeu majeur. Et après, s'intéresser aux jeunes des quartiers me semble un deuxième volet majeur.
Source: franceinfo