Marché : Pourquoi suivre à la lettre le dicton boursier qui impose de vendre en mai n'est pas une si bonne idée

April 30, 2023
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(BFM Bourse) - Comme à l'approche de chaque mois de mai, l'adage préféré des boursiers "sell in may and go away" refait surface. Les données historiques révèlent que la période la plus performante, en moyenne, s'étend de novembre à avril. D'où l'injonction selon laquelle les investisseurs devraient "vendre en mai et partir" - et revenir en novembre. Faut-il suivre à la lettre ce vénérable adage? Pas si sûr selon les spécialistes.

La Bourse est perçue comme un univers complexe à appréhender pour le quidam moyen avec son jargon très animalier et ses mécanismes alambiqués. Cet univers s’est enrichi de nombreux dictons et proverbes comme évoqué dans ce précédent article. On peut par exemple citer "mieux vaut se couper un doigt, que la main, et la main que le bras", ou "achetez la rumeur et vendez l’information".

Et parmi ces injonctions qui font le folklore de la Bourse se trouve le célèbre sell in may and go away ou "vends en mai et va-t'en" dans la langue de Molière. La plus ancienne mention ce dicton a été relevée dans une édition de 1935 du Financial Times, l'article le présentant déjà comme "un vieil adage". L'hypothèse la plus probable serait que les classes aisées quittaient Londres pour la campagne aux beaux jours en délaissant leurs portefeuilles (ou du moins en n'intervenant qu'épisodiquement pendant cette période).

La croyance veut donc qu’il convient de s’abstenir en Bourse à compter du 1er mai avant de réinvestir à partir de la veille du 1er novembre et donc le jour d’Halloween. Ce dernier jour a lui aussi son effet sur les marchés. C’est le Halloween effect ou "effet Halloween'" en Français" qui implique que la période de novembre à avril offre le plus fort potentiel de hausse sur les marchés financiers.

Et à l’approche de ce cinquième mois de l’année, la question revient naturellement sur le devant de la scène. Et encore plus après un mois d’avril (jusqu’il y a quelques jours) jugé "contre-intuitif" avec des indices en hausse malgré une accumulation de mauvaises nouvelles, pour John Plassard, conseiller en investissement chez Mirabaud.

"Risques de récession, baisse des statistiques économiques aux États-Unis et dans certaines régions en Europe ou encore (début de) crise bancaire d’une rare violence, tous les signaux étaient au vert (ou au rouge plutôt) pour que les indices baissent fortement, mais pourtant c’est la hausse qui devrait l’emporter", s’est étonné le spécialiste dans une note publiée en début de semaine. John Plassard se pose la question de savoir s’il faut "quitter" le marché face aux récents records de certains indices dont le CAC 40 en Europe. D'ailleurs, l'indice parisien vient de clôturer le mois d'avril en hausse de 2,3%, portant à 15,7% sa progression depuis le début de l'année.

Lézarder au soleil plutôt qu'acheter

Plusieurs facteurs tendent à valider la théorie du "sell in may and go away". Deux universitaires, spécialisés dans les questions de saisonnalité, ont testé l'effet "Halloween/sell in may" sur l'échantillon le plus important jamais recueilli, et leur conclusion est claire : investir à Halloween et prendre ses profits en mai rapporte 4% de plus qu'une stratégie consistant à détenir indéfiniment ses titres.

Les professeurs Zhang Yi de la Nottingham University Business School (Chine) et Ben Jacobsen de TIAS Business School (Pays-Bas) ont retenu un échantillon qui commence en 1693 avec la Bourse de Londres et comprend jusqu'au plus récent des indices, celui du marché rwandais inauguré en 2013, soit 114 marchés au total et plus de 63.000 mois de performances boursières à décortiquer... Et le résultat est surprenant par son ampleur puisqu'ils n'ont identifié qu'un seul marché -la Bourse de l'Ile Maurice- présentant sur la durée un rendement supérieur pendant la période estivale

L'étude de Zhang et Jacobsen présume que cet effet correspondant à la prise des congés estivaux est toujours à l’œuvre aujourd'hui. D'autant que la saisonnalité de l'Halloween Indicator est plus marquée en Europe et aux Etats-Unis, où l'habitude de prendre des vacances l'été est plus répandue que dans le reste du monde.

La désertion des investisseurs pendant l'été un facteur qui est également soulevé par John Plassard, qui rappelle que "le marché a tendance à connaître ses mois les plus faibles au cours de l'été en raison du faible volume des échanges". Il évoque aussi une saisonnalité des flux d'investissement, liée au versement des primes de fin d'année des industries financières et des entreprises, "la date limite de dépôt des déclarations de revenus aux États-Unis à la mi-avril pouvant y contribuer".

"Sur le marché de Singapour, la plupart des entreprises versent des dividendes en mai et juin de chaque année. Les investisseurs à la recherche de dividendes peuvent donc chercher à ne pas acheter d'actions après ces mois jusqu'à ce que des opportunités de baisse se présentent" ajoute John Plassard.

Le spécialiste étaye cette saisonnalité des performances des indices boursiers en rappelant le comportement du S&P 500 sur les 30 dernières années : "De 1990 à 2022, le rendement du S&P 500 a été d'environ 2% de mai à octobre, tandis que celui de novembre à avril a été d'environ 7% en moyenne". Et ajoute que le gain moyen du Dow Jones au cours des 10 dernières années pour la période de novembre à avril a été de 27,5 %, contre une moyenne de 2,9 % pour les périodes de mai à octobre qui ont suivi.

Les données historiques ont donc tendance à valider la véracité de cet adage, rappelle le spécialiste. D'où le dicton selon lequel les investisseurs devraient "vendre en mai et s'en aller" - et revenir en novembre. John Plassard tient toutefois à nuancer ces vérifications. "Il y a donc une part de vérité dans l'adage selon lequel le mois de mai voit en moyenne la première correction de l'année, mais le mois de juillet est historiquement l'un des meilleurs de l'année", fait-il valoir.

Une théorie qui a des failles

Comme toute théorie, celle-ci comporte des failles. "Le plus souvent, les actions ont tendance à enregistrer des gains tout au long de l'année, en moyenne, et donc vendre en mai ne fait généralement pas beaucoup de sens", rappelle John Plassard.

"L'histoire montre que le coût d'opportunité lié à la sortie et à la rentrée périodique sur le marché peut être important. De plus, la facilité de suivi de vos investissements (par rapport à il y a des décennies, lorsque cette théorie du calendrier a été créée) signifie qu'il est possible de surveiller plus facilement le marché et d'apporter des modifications à vos investissements si nécessaire à tout moment de l'année", poursuit-il.

D'autant plus que les tendances boursières calendaires telles que "vendre en mai" ne tiennent pas compte du caractère unique de chaque période. Le cycle économique et l'humeur du marché du moment, peuvent jouer les trouble-fête. John Plassard met en garde les investisseurs qui suivent stricto sensu les tendances boursières, sans tenir compte d'autres facteurs comme le contexte économique ou bien les objectifs d'investissement et contraintes de risques propres à chaque profil.

Même si ces adages boursiers "sont souvent exagérés", le spécialiste estime qu'il y a "nombreux enseignements à en tirer". Selon lui, ces derniers pourraient aider à mieux interpréter cette deuxième partie de l’année et "dissiper quelques nuages de début d’année". Il rappelle également qu'il est opportun d'observer l’évolution du marché à moyen et long terme, un conseil qui "permettra d’enlever un certain stress".

En résumé, faut-il "vendre en mai et partir"? "Probablement pas, si l'on en croit les données historiques, car il peut y avoir de meilleures options si vous êtes un investisseur actif. Si vous êtes un investisseur à long terme, des facteurs plus importants devraient influencer vos décisions d'investissement", tient à rappeler de son côté Fidelity.

Source: BFM Bourse