Tour de France - Victor Lafay, la révélation du Tour qui ne rêvait pas d'être coureur

July 03, 2023
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"Ca fait deux jours qu’il me dit 'putain je suis bien, je vais le tenter.'" Je lui ai dit 'ouais, c’est ça, ouais'. Et voilà !" Anthony Perez ne peut contenir un éclat de rire estomaqué. Juste après avoir franchi la ligne d’arrivée, le Toulousain s’est arrêté au micro d’Eurosport et confie l’effarement qui est le sien de savoir que son coéquipier a réalisé son audacieuse prédiction. Oui, Victor Lafay a remporté la 2e étape du Tour de France. Au nez et à la barbe de Van Aert et Pogacar. Mais c’est moins de la surprise que de l’ébahissement qu’on décèle chez Perez, qui résume en ces termes la personnalité de son compagnon de chambre et héros du jour. "C’est un fou, c’est un malade. Il a un problème dans sa tête !"

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Avec Lafay, "on ne peut jamais savoir s’il va faire premier ou dernier", souligne Perez. C’est un coureur capable de tout, du pire et du meilleur, y compris du sublime. La veille, il avait déjà fait sensation en s'invitant sur la planète de Pogacar et Vingegaard, tel un ovni que personne n’avait vu venir. Il a toujours été un peu comme ça, Victor. A être là où on ne l’attend pas, ou plus. La trajectoire du puncheur de Cofidis ressemble assez aux montagnes basques qui l’ont hissé ce dimanche dans une nouvelle dimension. Un parcours sinusoïdal. Ponctué de très hauts et de très bas.

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Tirreno non, ça ne me disait rien

Le fond, il l’a presque touché à l’âge où les coureurs d’aujourd’hui deviennent des champions. 21 ans. Les deux saisons qu’il vient alors de passer au Chambéry CF, la structure espoirs associée à AG2R Citroën, ont été gâchées par une blessure à la cuisse. Une excroissance osseuse au fémur gauche le fait passer par la case opération et le prive de nombreux mois de compétition. Son aventure avec le CCF prend fin. On s'inquiète pour sa carrière. Mais Victor rebondit, et vite, dans un club amateur voisin, Bourg-en-Bresse Ain Cyclisme. Il devient champion de France espoirs en 2017 sur les terres d’Alaphilippe, Saint-Amand-Montrond, où il devance l’étoile montante du moment, Benoît Cosnefroy. C’est son acte de naissance. Celui d’un homme de coups. D’un puncheur-grimpeur capable de tout dans un grand jour.

Dans la foulée, il dispute le Tour de l’Avenir remporté par Egan Bernal. Le Colombien avait déjà une petite réputation avant de dominer la fameuse épreuve dédiée aux Espoirs, qui a aussi révélé Gaudu et Pogacar. Bernal s’était classé 7e de Tirreno-Adriatico quelques mois plus tôt. Un résultat qui n’évoquait pas grand-chose à Victor Lafay, ce qui avait fait marrer son entourage. "On m’aurait dit 7e de Paris-Nice, j’aurais peut-être compris. Mais Tirreno non, ça ne me disait rien, nous confiait-il ce printemps. Je n’ai pas du tout grandi avec la culture du cyclisme professionnel. Je l’ai découverte en passant pro." Son arrivée chez Cofidis au 1er août 2018, - deux semaines après avoir perdu un championnat d’Europe Espoirs pour quelques millimètres face à Marc Hirschi - n’était ainsi pas vraiment la réalisation d’un rêve de gosse.

Pérez sur le "fou" Lafay : "Avec lui on ne sait jamais, il peut faire premier comme dernier"

Il a pourtant débuté dans un club très jeune, à 5 ans, par l’effet d’un "concours de circonstances", raconte-t-il : "On a quitté Lyon (sa ville natale, ndlr) pour Thonon-les-Bains pour le boulot de mon père. Il avait été engagé comme PDG dans une entreprise pour la redresser. Dans sa boîte, il y avait un mec dont le père tenait l’école de vélo. Il lui a dit : 'Mets tes gamins à l’école de vélo, ils vont apprendre à bien faire du vélo'. Et ça a démarré comme ça. J’ai aussi essayé le ski alpin, une année. Mais je n’ai pas du tout aimé l’ambiance. C’était très compétitif, les gamins n’étaient pas cools entre eux."

Il n'aimait pas les courses plus jeune

Dans une famille imprégnée de la "culture du sport et surtout de la montagne", le vélo est aussi un moyen de s’aérer "les mercredis et les week-ends" mais aussi de voyager. Jura, Canal du Midi, Irlande… Ses vacances d’une semaine en road trip avec sa mère et son frère, Flavien, plus vieux de deux ans et demi, façonnent son goût pour le vélo, d’abord tourné vers le loisir. Pour apprécier la compétition, il lui a fallu du temps. "Les courses, c’était pas ce que je préférais, car j’étais pas très bon ! Au club, ce que j’aimais, c’était surtout retrouver les copains, se tirer la bourre à l'entraînement."

Il se souvient avoir voulu arrêter vers ses 12 ou 13 ans. "C’était à la sortie de l’été. J’avais dit à ma mère que je ne voulais plus faire de vélo. Elle m’a dit de quand même faire la rentrée, d’essayer à nouveau deux ou trois entraînements… Et puis j’ai retrouvé mes copains du vélo, c’était reparti. Elle a bien fait de me pousser."

Lafay raconte son exploit : "Je voyais 500m, 400m… allez, allez, je remonte une dent !"

Le compétiteur naît quand il rejoint le club Evian Vélo, en benjamins, après que l’école de cyclisme de Thonon-les-Bains a fermé ses portes. "C’était plus cadré, il y avait plus de monde. C’est comme ça que j’ai pu progresser petit à petit." Il fait partie d’un "super groupe" qui rafle toutes les courses du département. Aurélien Paret-Peintre, licencié au club rival d’Annemasse, se souvient n’avoir pu ramasser que les miettes en cadets.

"J’ai fait quelques performances intéressantes en juniors qui m’ont permis d’accéder au Chambéry Cyclisme Formation, décrit Lafay. Mais l’idée de devenir pro ne m’intéressait pas tant que ça, en fait. Mon but était de profiter, d’être dans le cadre du CCF pour apprendre à faire du vélo et progresser en tant qu’amateur. Puis, quand je suis arrivé à Bourg-en-Bresse en 2017, tout est allé très vite. J’arrivais à la fin de mon DUT. Je me suis dit : 'Quand même, si t’as l’opportunité de passer pro, faut la prendre'. Parce que je n’avais envie de travailler directement. Et que j’avais un peu la flemme de poursuivre les études !"

10 euros dans le cuissard

Comme on dit, Victor n’est pas dans le moule. Pas issu d’une famille de cyclistes, pas de passion à l’enfance pour le Tour, qu’il suivait d’un œil très distant à la télé… Son anti-conformisme - ou son côté "fou" comme le dit Anthony Perez - peut se résumer dans cette savoureuse anecdote sur le Tour du Savoie-Mont-Blanc 2018. Lâché dans le Cormet de Roselend, il s’était arrêté au sommet pour acheter du saucisson… Un coup anticipé puisqu’il avait glissé, avant le départ, dix euros dans son cuissard.

"À cinq bornes du sommet, j’ai accéléré du grupetto pour prendre de l’avance en prévenant les gars, racontait-il dans Vélo Magazine l’an passé. J’ai hésité entre le saucisson à la noisette et beaufort. J’ai opté pour le premier car dans le milieu je savais que déjà m’arrêter prendre un saucisson allait faire jaser alors en plus, si je prenais celui au Beaufort ! Personne n’a voulu partager avec moi dans le grupetto ! Ca ne m’a pas empêché de faire quatrième de la dernière étape."

Au collège, plutôt que de rêver du Tour, il se voyait bien professeur de musique. Son truc, c’était la batterie. Style rock à la base, avant de se tourner vers le jazz, car ça nécessite "beaucoup de dextérité" : "A la base je voulais faire de la trompette mais je n’avais pas encore mes dents définitives. Le mec de l’école de musique m’a dit non, et je me suis donc tourné vers mon 2e choix, la batterie. J’ai fait huit ans d’étude. Je ne jouais pas dans un groupe car j’étais introverti. Quand je discutais avec mon prof, je me disais que ça pourrait être sympa de faire comme lui, d’enseigner à des jeunes. Mais finalement j’ai laissé tomber après le collège ! C’est con car il me restait peu d’examens à passer pour pouvoir être prof..."

Sa batterie est restée chez ses parents. Mais il s’en est racheté une autre, électronique, sur un coup de tête en rentrant de soirée du temps où il était à Chambéry. "Je me mets de temps en temps dessus. Ça me défoule. Je joue un peu de tout, voire même de rien, car mon niveau a beaucoup baissé." Tout l’inverse du vélo, où il sent qu’il progresse chaque saison, avec quelques coups d’éclat qui font sa marque de fabrique.

C’était déjà sur un Grand Tour, le Giro, qu’il avait conquis sa première victoire chez les pros, deux ans et trois mois avant son triomphe dominical à San Sebastian. Le signe que ce puncheur-grimpeur était taillé pour les grandes choses, sans avoir pourtant cette certitude qu’ont certains champions qu’un grand destin les attend. "On ne sait jamais si on a atteint nos limites ou pas, nous confiait-il en avril, avant de remporter la Classic Grand Besançon Doubs. Le niveau que j’ai aujourd’hui, peut-être est-ce le meilleur que j’aurais dans ma carrière. On n’en sait jamais rien." Il ajoutait néanmoins : "Je pense avoir encore un peu de marge."

Victor Lafay, vainqueur à Saint-Sébastien. Crédit: Getty Images

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Source: Eurosport FR