Il y a dix ans, la prise de pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi jetait une nouvelle chape de plomb sur les libertés en Égypte
Le 3 juillet 2013, le premier président démocratiquement élu d'Égypte était renversé par un coup d’État militaire, après seulement un an au pouvoir. Son successeur, Abdel Fattah al-Sissi, a depuis modifié la Constitution pour restreindre les libertés et mater toute opposition. Aujourd’hui, au moins 60 000 prisonniers politiques sont incarcérés en Égypte, selon les ONG de défense de droits de l’homme.
Depuis son arrivée au pouvoir, celui qui était chef de l'armée avant d'être président, a mené une répression implacable contre toute opposition en Égypte.
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De notre correspondant au Caire,
Dans le chaos de la circulation du Caire, les taxis ne s’embarrassent même plus des précautions d’usage. « On n’a aucune liberté en Égypte. On est fatigués de Sissi ! » Cette phrase aurait été impensable ces dernières années, depuis que le raïs règne d’une main de fer sur le pays le plus peuplé du monde arabe.
À la rigueur, des plaintes sur le niveau de vie qui baisse auraient été envisageables, l’Égypte connaissant une inflation galopante de 33% en moins d’un an, alors que plus d’un tiers des 105 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté. Mais la question de la liberté ne faisait pas partie des priorités tant que les Égyptiens pouvaient se nourrir.
« La sécurité au prix de la liberté »
« Quand Sissi a pris le pouvoir en 2013, il y a eu de nombreux attentats, rappelle Mohamed Lotfi, directeur de l’ONG de défense des droits de l'homme Egyptian commission for rights and freedom (ECRF), l’une des dernières en Égypte. Alors beaucoup de personnes ont choisi la sécurité au prix de la liberté. »
Alors ministre de la Défense, Abdel Fattah al-Sissi, se présente devant les Égyptiens comme un sauveur devant la menace des Frères musulmans, personnifiée par Mohamed Morsi, le premier président démocratiquement élu de l’histoire égyptienne. À l’époque, « ils ont quand même changé et modifié la Constitution, mis des articles qui permettent d’établir un État islamique et un État religieux. Tout cela a beaucoup gêné la majorité du peuple égyptien, qui est allé dans la rue pour prendre le pouvoir des Frères musulmans », analyse Amr Alshobaky, spécialiste de l’islam politique.
Élu depuis à peine un an, Mohamed Morsi est renversé et incarcéré le 3 juillet 2013. Durant plus d’un mois, en plein ramadan sous la chaleur accablante du mois de juillet cairote, ses partisans se réunissent pour réclamer le retour du raïs déchu. Peine perdue. Du 14 au 16 août, le régime militaire ouvrira le feu sur les manifestants rassemblés sur la place Rabia-El-Adaouïa. Bilan : au moins 638 tués de l’aveu même des autorités égyptiennes. L’ONG Human Rights Watch le qualifiera de « plus grand massacre de l’histoire moderne de l’Égypte ».
Rapidement, l’état d’urgence est de nouveau promulgué et les Frères musulmans considérés comme « organisation terroriste ». Les procès de masse se multiplient. Pour les défenseurs des droits de l’homme, dont le souffle des « printemps arabes » était toujours ancré, le retour à la réalité du régime militaire est douloureux. Désormais, toute personne critiquant la pouvoir de Sissi ou de l’armée se met en danger. « Le pays fonctionne depuis dix ans sans aucune forme de gouvernance locale, détaille Hossam Bahgat, directeur de l’Egyptian initiative for personal rights (EIPR). Le gouvernement utilise les incarcérations comme son principal outil de gouvernance. Et ce n’est pas qu’une question de prisonniers politiques, mais c’est aussi toute la population qui est prise en otage. N'importe qui peut être arrêté. Une fois en prison, il n’y a plus de processus légal et vous ne savez pas quand vous serez relâché. »
Troisième mandat en vue
Gouverner par la peur donc. Selon les ONG de défense de droits de l’homme, 60 000 prisonniers politiques peupleraient aujourd’hui les geôles égyptiennes, chiffre démenti formellement par les autorités. Mohamed Morsi, lui, décèdera en prison en 2019.
À un an des élections présidentielles, le raïs Sissi compte briguer un troisième mandat et a décidé de lancer un grand dialogue national. « En réalité, c’est une mosaïque de monologues, pas un dialogue, tance Mohamed Lotfi. Pour y participer, nous avons exigé des engagements de la part du gouvernement, notamment sur les libérations de prisonniers politiques. Entre avril 2022 et avril 2023, il y a eu effectivement 1 600 libérations. Mais 3 600 ont été arrêtés dans le même temps. Ça fait 2 000 de plus ! C’est pour cela que nous avons refusé de participer à cette mascarade. »
Alors que la parole se libère très légèrement en Égypte, notamment en raison de la crise économique qui touche le pays, l'élection présidentielle de 2024 sera scrutée par les partenaires de l’Égypte. Les États-Unis et l’Union européenne en tête, soucieux de maintenir un semblant de stabilité dans ce pays de 105 millions d’habitants au carrefour d’une région secouée par les crises politiques.
Sans aucune opposition crédible, Abdel Fattah al-Sissi a donc un boulevard devant lui pour se maintenir au pouvoir. Cependant, « Sissi n’accepte pas la critique, il pense qu’il a été envoyé par Dieu pour sauver le pays, souligne Hossam Bahgat. Et parce que le président a décidé de détruire les institutions d’État, et de tout gérer seul, il est désormais le seul responsable de la situation de l’Égypte. »
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Source: RFI