Des lois antiterroristes détournées pour garantir le maintien de l’ordre en France

April 30, 2023
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Des gendarmes s’acheminent vers un rond-point bloqué par des manifestants, lors de la visite d’Emmanuel Macron au collège Louise-Michel de Ganges (Hérault), le 20 avril 2023. SANDRA MEHL POUR « LE MONDE »

C’est un recadrage sévère. Ou un rétropédalage masqué. Dans un e-mail adressé aux préfets mardi 25 avril, révélé par Libération et auquel Le Monde a eu accès, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur sonne « l’alerte » : la mise en place de périmètres de sécurité sur le fondement de l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure est « un détournement de procédure ».

La raison ? L’absence de justification d’un risque terroriste alors même que l’article en question est tiré de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, adoptée en 2017. Une manière, pour le ministère, de se décharger de toute responsabilité face à des arrêtés qui seraient illégaux. Pas question pour la Place Beauvau de multiplier les déconvenues devant la justice administrative, qui pourraient porter un coup à la crédibilité de son action.

Dans ce message, le ministère de l’intérieur se range en effet à l’avis du tribunal administratif d’Orléans, qui a suspendu, mardi 25 avril, l’arrêté du préfet du Loir-et-Cher, basé notamment sur la loi SILT, en expliquant qu’« un périmètre de protection ne peut être institué par le préfet en application de ces dispositions qu’aux fins d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation ». Pour le tribunal administratif, « un déplacement du président de la République ne saurait être regardé comme justifiant à lui seul, par sa nature, l’instauration d’un périmètre de sécurité ».

Guérilla judiciaire

Mardi 25 avril toujours, le préfet du Doubs a retiré de lui-même son arrêté, construit sur le même modèle. Le texte mentionnait notamment « la prégnance de la menace terroriste sur le territoire national » pour justifier l’interdiction de manifester deux jours plus tard dans la commune de La Cluse-et-Mijoux, où Emmanuel Macron se rendait pour célébrer le 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage.

Ce retrait est-il la conséquence directe du recadrage du ministère de l’intérieur ? « Aucune autorité, ni l’Elysée ni ministérielle, n’a imposé ce retrait. C’est une décision de M. le préfet, au vu de certaines évolutions de la visite du président », affirme la préfecture du Doubs, précisant que certaines séquences prévues en extérieur avaient finalement été rapatriées à l’intérieur « pour des raisons techniques ».

Beauvau ou l’Elysée avaient-ils donné des instructions pour la sécurisation des visites d’Emmanuel Macron ? « Pas du tout », conteste le préfet de l’Hérault, Hugues Moutouh, le premier à avoir pris ce type d’arrêté. « Ce sont nos compétences propres, c’est notre responsabilité », ajoute-t-il, précisant que ses services ont « l’habitude » de s’appuyer sur ce texte dans le cadre de rassemblements : « Pour moi, c’était tout à fait logique de l’utiliser dans le cadre d’une visite officielle. »

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Source: Le Monde