Guerre en Ukraine : trois questions sur le bureau international chargé d'enquêter sur le "crime d'agression" de la Russie

July 04, 2023
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Le Centre international pour la poursuite du crime d'agression contre l'Ukraine a ouvert lundi à La Haye. Il regroupe des procureurs de plusieurs pays.

Un bureau international chargé d'enquêter sur le "crime d'agression" de la Russie contre l'Ukraine a ouvert à La Haye (Pays-Bas) lundi 3 juillet. Selon Kiev, il constitue un premier pas "historique" vers la création d'un tribunal spécial destiné à traduire en justice les dirigeants russes responsables de la guerre qui a débuté en février 2022. Ce bureau d'enquête nouvellement créé soulève plusieurs questions auxquelles franceinfo apporte des réponses.

Qui compose ce bureau d'enquête ?

Ce Centre international pour la poursuite du crime d'agression contre l'Ukraine (ICPA) est une forme de parquet. Il est chargé d'enquêter et de collecter des preuves pour établir les responsabilités civiles et militaires de l'invasion russe. Il regroupe des procureurs de la Cour pénale internationale (CPI), mais aussi d'Ukraine, des Etats-Unis et de cinq pays membres de l'Union européenne. Des magistrats des trois Etats baltes (Lettonie, Lituanie et Estonie) participeront ainsi aux enquêtes avec leurs homologues de Pologne et de Roumanie, précise Le Monde.

Ce bureau d'enquête est placé sous l'autorité d'Eurojust, l'agence européenne chargée de renforcer la coopération judiciaire entre les Etats membres, avec un budget initial de 8,3 millions d'euros, rapporte le Washington Post. "Eurojust fournit un soutien opérationnel, légal, financier et logistique [aux magistrats], notamment pour préserver, conserver et analyser les preuves", ajoute la Commission européenne. L'ICPA est en outre installé au siège de l'agence, afin que les procureurs puissent "travailler ensemble quotidiennement", selon la Commission.

De quels dossiers va-t-il s'emparer ?

L'ICPA doit enquêter sur "la responsabilité du crime d'agression" de la Russie contre l'Ukraine, a rappelé lundi le procureur général ukrainien, Andriy Kostine, lors d'une conférence de presse. Ce chef d'inculpation correspond, pour la CPI, à "l'emploi par un Etat de la force armée contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat". Il permet de poursuivre les dirigeants du pays agresseur et est similaire à la notion de "crime contre la paix", utilisée dans les procès de Nuremberg et de Tokyo à l'issue la Seconde Guerre mondiale.

"Si le crime d'agression n'avait pas été commis, il n'y aurait pas eu 93 000 autres incidents de crimes de guerre." Andriy Kostine, procureur général ukrainien lors d'une conférence de presse

Andriy Kostine a précisé que 600 personnes sont déjà suspectées d'avoir participé à ce crime d'agression, "dont une partie de la Douma, le Parlement russe", rapporte RFI. Pour établir ces responsabilités, les magistrats de l'ICPA vont pouvoir rassembler et échanger des éléments de preuves. Le procureur général adjoint des Etats-Unis, Kenneth Polite, a ainsi annoncé que ses services avaient déjà remis une série de preuves au bureau d'enquête.

Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a salué l'ouverture de l'ICPA, affirmant que c'était la "première fois" que des preuves de crimes de guerre étaient déjà réunies au cours d'un conflit. L'ICPA ne pourra toutefois pas produire d'actes de mise en accusation ou de mandats d'arrêts pour les suspectés, souligne le Washington Post. Selon le quotidien américain, l'objectif de ces magistrats est d'appuyer les enquêtes déjà en cours.

Un tribunal spécial va-t-il être créé ?

L'ouverture de l'ICPA est "un signal clair que le monde est uni et inflexible lorsqu'il s'agit de tenir le régime russe responsable de tous ses crimes", a affirmé le procureur général ukrainien, qualifiant ce moment d'"historique". Pour Kiev, ce bureau d'enquête est une étape cruciale vers la constitution d'un tribunal spécial chargé de juger les dirigeants russes, initiative que le président Volodymyr Zelensky réclame depuis plusieurs mois. Les Etats-Unis soutiennent également la création de ce tribunal spécial.

Ce projet est cependant encore loin d'aboutir. En premier lieu, car la CPI n'est compétente pour juger un crime d'agression que si le pays qui en est accusé est signataire du Statut de Rome, le traité international qui a fondé cette juridiction en 2002. Or ce n'est pas le cas de la Russie. Cela n'a toutefois pas empêché la Cour de s'emparer des accusations de crimes de guerre pesant contre Moscou. En mars, la juridiction avait ainsi émis un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine, accusé d'être responsable de la déportation d'enfants ukrainiens.

Certains des alliés occidentaux de Kiev craignent toutefois que l'initiative d'un tribunal spécial n'obtienne pas le soutien suffisant à l'ONU. Ils plaident donc pour la formation d'un tribunal hybride, composé de juges ukrainiens et d'autres nationalités. En attendant que cette question soit tranchée, l'ICPA est donc chargé de commencer à collecter les éléments des dossiers. "Pendant que les discussions se poursuivent, (...) il est crucial de s'assurer que les preuves nécessaires sont collectées et que les investigations puissent débuter, relève la Commission européenne. Ce travail est essentiel pour préparer de futurs procès, que ce soit devant des tribunaux nationaux ou internationaux, y compris un éventuel tribunal pour le crime d'agression ou la CPI pour les crimes relevant de sa juridiction."

Source: franceinfo