l'histoire oubliée des prisons de la Conciergerie, de Charlotte Corday à Marie-Antoinette

July 06, 2023
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Les prisons de la Conciergerie sont marquées par la sombre mémoire de la Terreur (1793-1794) et du Tribunal révolutionnaire de Paris. Entre légendes et réalité, le lieu vibre encore de ce passé tumultueux.

Bien avant la Révolution française, la Conciergerie était déjà une prison au statut particulier. Située en dessous du plus important tribunal du royaume, le Parlement de Paris, elle a vu défiler des détenus de toute première importance. La marquise de Brinvilliers, décapitée en 1676 pour avoir empoisonné plusieurs membres de sa famille, ou Robert François Damiens, torturé puis exécuté après avoir tenté d’assassiner Louis XV en 1757, comptent parmi ses prisonniers célèbres. Même si on y trouve aussi de nombreux détenus non politiques, la Conciergerie est, avec la Bastille, accusée d’être une des antichambres du despotisme.

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De la monarchie à la révolution

Comme ailleurs, les conditions de détention y sont très inégalitaires. En échange de quarante-cinq livres par mois, les « pensionnaires » obtiennent une cellule individuelle plus confortable que les autres. Les pauvres « pailleux » s’entassent quant à eux dans des cellules sombres, mal aérées, garnies de paillasses rudimentaires. Le miroir que tend la Conciergerie à la monarchie absolue est sans ambiguïté : le régime emprisonne en masse. Mais les débuts de la Révolution apportent aussi leur lot de délits, ainsi qu’un nouveau désir d’ordre : en 1790, la Conciergerie ne compte pas moins de six cents prisonniers. Beaucoup sont de modestes détenus de droit commun qui n’ont pu honorer leurs dettes, ont fraudé les taxes portant sur les produits alimentaires ou profité des troubles révolutionnaires pour commettre quelque larcin.

En novembre 1789, le Parlement est supprimé. Le palais de l’île de la Cité accueille désormais un tribunal dédié aux procédures civiles de proximité, mais aussi le tribunal criminel de Paris et surtout la toute nouvelle Cour de cassation. Les prisons de la Conciergerie conservent donc leur caractère à la fois ordinaire et spécial. Les projets d’amélioration des conditions de détention engagés sous l’Ancien Régime se poursuivent. Depuis quelques années, les femmes sont séparées des hommes. Afin d’occuper les détenus et de les rendre plus utiles à la société, on ouvre des ateliers de travail. En 1791, alors que le nouveau Code pénal vise à humaniser les peines, la Société royale de médecine imagine des solutions pour améliorer l’hygiène. Un peu plus tard, en pleine Terreur, on tente de réformer le fonctionnement de l’infirmerie.

En ce qui concerne les conditions matérielles de détention, la prison de la Conciergerie n’est, de loin, pas la pire du pays. Mais les geôles de l’île de la Cité continuent de faire peur. Et pour cause : elles ont depuis longtemps une fonction particulière. Située au cœur de Paris, à deux pas de l’Assemblée, la Conciergerie attise les rumeurs : elle serait le foyer des traîtres et des ennemis du peuple. Au début du mois de septembre 1792, des dizaines d’anciens nobles et de prêtres réfractaires, qui refusent de prêter serment à la Constitution civile du clergé, y sont sommairement jugés et massacrés.

Sous l’égide du Tribunal révolutionnaire

Au printemps 1793, suite à l’exécution de Louis XVI le 21 janvier, la guerre contre la Première Coalition et la guerre civile se propagent. La Conciergerie retrouve alors son ancien rôle et redevient un des lieux de la justice d’exception. Pourtant réputés modérés, les Girondins instituent le Tribunal criminel extraordinaire de Paris, bientôt désigné sous le nom de Tribunal révolutionnaire. S’il s’agit, cette fois, de protéger la république contre ses ennemis, si cette justice dérogatoire au droit commun s’inscrit désormais dans le cadre de lois votées par des députés, la Révolution se glisse dans les pas de l’Ancien Régime : c’est d’abord dans l’ancienne grand’chambre du Parlement de Paris, débarrassée de ses couronnes et fleurs de lys, que s’installe le Tribunal.

Pendant deux ans, de mars 1793 à mai 1795, plus de 4000 suspects politiques sont ainsi jugés après avoir passé quelques heures, quelques jours, plus rarement quelques semaines ou quelques mois dans les cellules de la Conciergerie. Assistés de jurés choisis pour leur orthodoxie républicaine, les magistrats dirigent les procès en présence d’un public plus ou moins nombreux en fonction de l’importance des affaires du jour. Réputé pour l’intransigeance de son accusateur public, Fouquier-Tinville, le Tribunal révolutionnaire est un peu la vitrine de la justice politique : certaines affaires sont très médiatisées, comme le procès du journaliste et député Jean-Paul Marat, triomphalement acquitté à la fin du mois d’avril 1793. Trois mois plus tard, le 17 juillet, Charlotte Corday, son assassin, défraie la chronique.

En octobre 1793, c’est au tour de Marie-Antoinette, puis de vingt et un députés Girondins, dont le procès anéantit la perspective d’une république modérée. Les mois qui suivent voient se succéder les procès des différents groupes politiques qui, chacun à leur tour, font les frais des épurations successives : en mars-avril 1794, les Dantonistes et les Hébertistes passent par les couloirs sombres du palais de la Cité, trois mois avant Robespierre et ses partisans, accusés d’avoir, quant à eux, littéralement orchestré la Terreur. Plus les grands procès se multiplient, plus les lettres écrites en prison ou les images de détenus se diffusent : les cellules de la Conciergerie deviennent, dans l’imaginaire, le lieu du martyre, de la résistance et des injustices de la Révolution.

Marie-Antoinette à la Conciergerie Marie-Antoinette passe soixante-seize jours à la Conciergerie, une durée exceptionnelle. L’ancienne reine de France n’est pas une prisonnière comme les autres. Afin d’éviter toute évasion, elle est gardée à vue par deux gendarmes et privée de matériel pour écrire. Ses cheveux ont-ils blanchi tout d’un coup, sous l’effet du choc de la prison ? A-t-elle été victime d’hémorragies laissées sans soins ? Impossibles à vérifier aujourd’hui, ces détails sont souvent pris au piège des récits victimaires sur la reine. A-t-elle changé de cellule à la suite d’un énième projet de libération appelé le « complot de l’œillet » (28 août 1793), comme le veut la tradition ? Difficile de l’affirmer avec certitude. On sait en revanche que le cachot d’où elle partit pour le tribunal, le 14 octobre 1793, donne au rez-de-chaussée sur la cour des Femmes : c’est l’emplacement actuel de sa chapelle expiatoire.

Les prisons de la Terreur

Entre 1793 et 1795, les conditions de détention y sont particulièrement éprouvantes. Les cellules se remplissent autant qu’au début de la Révolution, sans jamais égaler le record du millier de détenus, atteint lors des grandes crises passées de la monarchie. Face à la surpopulation carcérale, on bâtit d’inconfortables cellules provisoires. La peur est permanente : au terme de procès sans appel, il n’y a guère d’alternative entre la liberté et la mort. Certes, à ses débuts, le Tribunal révolutionnaire acquitte les deux tiers des prévenus. Mais ceux qui sont condamnés ne sont pas tous de dangereux conspirateurs et certains montent à l’échafaud pour avoir parlé trop vite. Au printemps 1794, les procédures s’accélèrent. Seul un détenu sur deux est alors acquitté.

Les cellules sont pleines d’anciens prêtres ou de nobles suspectés d’activités contre-révolutionnaires, mais aussi de fabricants de faux passeports, de faux-monnayeurs, de vrais ou faux conspirateurs, de libraires imprudents ou de citoyens qui ont la parole un peu trop facile… Une grande majorité vient des classes populaires. Pourtant, la justice politique cible les anciens ordres privilégiés : 20 % des prisonniers sont issus du clergé ou de l’ancienne noblesse, alors qu’ils ne représentent pas plus de 3 % de la population. La vie des prisonniers est très réglée. Le matin, ils sortent dans la cour des Hommes ou dans la cour des Femmes : plus petite, cette dernière est plantée d’arbres, dotée d’une fontaine et d’une petite table de pierre. Tous les soirs, ils se rendent au pied de la tour Bonbec où l’on annonce les audiences du lendemain.

Un lieu de mémoire

Après l’exécution de Robespierre le 28 juillet 1794, la répression ralentit. Mais ce n’est qu’en mai 1795, lors des procès de Fouquier-Tinville et d’autres acteurs du Tribunal révolutionnaire, que cette justice d’exception prend fin. Une légende noire se répand : la Conciergerie est désormais synonyme de Terreur. Les récits les plus affreux se multiplient à son sujet. En partie documentés, en partie inventés, ils tentent d’effacer la dure réalité de la prison sous l’Ancien Régime : il s’agit de condamner la Révolution tout entière.

À peine arrivé au pouvoir en 1815, Louis XVIII fait ériger une chapelle expiatoire en souvenir de Marie-Antoinette à l’emplacement de son ancienne cellule. Dès lors et jusqu’à la fermeture de la prison en 1934, la Conciergerie sera bien plus qu’un lieu de détention : attirant les touristes dès le XIXe siècle, elle s’imposera comme l’un des principaux lieux de mémoire des victimes de la Révolution.

Source: Connaissance des Arts