Russie : la " galaxie Prigojine " dans les ténèbres de l’incertitude

July 06, 2023
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Que sous-entend Evgueni Prigojine ? Qu’a voulu dire le chef du groupe Wagner dans ce message vocal de 41 secondes publié lundi 3 juillet sur Telegram, au terme d’un silence de plusieurs jours ? « Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de votre soutien (…) Très prochainement, j’en suis sûr, vous verrez à nouveau nos victoires sur le front. » Le groupe Wagner va-t-il continuer à combattre en Ukraine ? Et le chef séditieux, le « traître »,selon les mots du président russe Vladimir Poutine, restera-t-il à sa tête ? Ou faisait-il allusion à tout autre chose ?

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Près de deux semaines après sa mutinerie avortée du 24 juin, de nombreuses questions restent en suspens sur le sort de l’homme d’affaires et de ses nombreuses activités. Dès les premières heures qui ont suivi la mutinerie, le Kremlin a montré son intention de reprendre en main ce corps séditieux. Dépêché en Syrie, le vice-ministre des affaires étrangères de Russie, Sergueï Verchinine, s’est rendu à Damas pour informer Bachar al-Assad que Wagner ne travaillera plus indépendamment dans le pays, rapporte le Wall Street Journal. Dans le même souffle, le président Vladimir Poutine laissait trois issues aux mercenaires du groupe : retourner à la vie civile, s’engager dans l’armée régulière ou suivre leur chef en exil en Biélorussie, laissant entendre que Wagner ne combattrait plus en Ukraine. De récentes images satellites ont montré qu’une base militaire y était en construction, en vue de leur accueil, affirment certains observateurs.

« On ne sait pas trop ce que veulent les hommes de Prigojine »

Mais le départ d’Evgueni Prigojine et de ses hommes en Biélorussie se fait encore attendre. «Concernant Prigojine, il est à Saint-Pétersbourg, a déclaré jeudi 6 juillet le président biélorusse Alexandre Loukachenko lors d’une conférence de presse. Où est-il ce matin ? Peut-être parti à Moscou, ou ailleurs, mais il n’est pas sur le territoire biélorusse. » Quant aux hommes de Wagner, ils se trouveraient encore « dans leurs camps », et non en Biélorussie, « pour le moment ».

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Peu de signes, du reste, semblaient indiquer jusqu’à maintenant un engagement massif des milliers de « Wagnerovtsi » dans l’armée régulière. « Aujourd’hui, on ne sait pas trop ce que veulent les hommes de Prigojine, ils semblent dans l’expectative, commente Dimitri Zufferey, journaliste et membre du collectif d’enquête All Eyes on Wagner (1). On voit passer des annonces de recrutement, et d’autres affirmant que le recrutement s’arrête… C’est illisible, et bien malin qui pourra dire où en sera Wagner dans une semaine. »

Mais Wagner n’est pas la seule activité d’Evgueni Prigojine. Outre ses mercenaires, l’homme d’affaires dirige un vaste écheveau d’entreprises évoluant en Russie et à l’étranger dans la finance, le BTP, les médias et l’influence, l’exploitation minière et forestière. Ou encore dans la restauration collective – domaine qui lui a valu son surnom de « Cuisinier de Poutine ». Selon des chaînes Telegram russes, le ministère de la défense aurait rompu les contrats très lucratifs de restauration collective le liant à Concord, la maison mère de la « galaxie Prigojine ». Des informations non confirmées depuis.

Wagner difficilement remplaçable en Afrique

Une évolution plus notable est en cours du côté des activités médiatiques d’Evgueni Prigojine. Le patron de Wagner a en effet mis un terme aux activités de Patriot, sa holding de médias, dont le navire amiral est l’agence de presse RIA FAN. Des médias russes évoquent la possibilité qu’elle soit en partie reprise par des hommes d’affaires proches du Kremlin. « Nous aimerions beaucoup embaucher les gars qui bossaient pour Prigojine, s’enthousiasme Margarita Simonian, rédactrice en chef des médias publics RT, RIA Novosti et Sputnik, une figure de la propagande russe. On sait que ce sont des pros, et des chic types ! »

L’empire Prigojine, c’est encore un ensemble de structures destinées à influencer les opinions, non seulement en Russie, mais aussi à l’étranger, jusque dans les processus électoraux occidentaux. En Afrique, les missions d’influence, visant à discréditer des opposants ou chanter les louanges des régimes clients au moyen de médias et de « fermes à trolls » multipliant les publications sur les réseaux sociaux, font partie intégrante de la prestation de Wagner. Elles représentent un atout stratégique pour la Russie sur le continent. Raison pour laquelle le groupe y sera difficilement remplaçable.

D’après Dimitri Zufferey, la question du devenir de Wagner en Afrique promet de figurer très haut à l’agenda du sommet Russie-Afrique, qui s’ouvrira le 27 juillet à Sotchi. « Aujourd’hui, ce qui semble annoncé, c’est que Wagner continue d’opérer dans une certaine mesure sur le continent », estime l’expert, qui n’a observé aucun changement significatif chez les « fermes à trolls » d’Evgueni Prigojine, que ce soit en Russie ou en Afrique. Mais ces réalités d’aujourd’hui sont hautement volatiles. « On y voit un peu plus clair qu’au lendemain de la mutinerie, mais il nous manque toujours la pièce centrale du puzzle : quel est le deal qui a été passé entre Evgueni Prigojine et Vladimir Poutine ? »

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Frappe de missiles à Lviv

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a promis jeudi 6 juillet une réponse « tangible » après qu’une frappe de missile contre un immeuble résidentiel a tué quatre personnes à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, à des centaines de kilomètres des lignes de front. Au total, trois missiles de croisière Kalibr ont frappé cette métropole de 700 000 habitants, endommageant une trentaine de bâtiments. D’après le maire Andriï Sadovyi, il s’agirait de la plus grande attaque contre une infrastructure civile de la ville depuis le début de l’invasion le 24 février 2022, date à partir de laquelle Lviv est devenue un lieu de refuge et de transit pour des millions de déplacés et de réfugiés.

Source: La Croix