Mort de Nahel : pourquoi les policiers ne portaient pas de caméra-piéton ?
Faute, il y aurait eu pourtant. Après le fiasco, en 2017, d’un premier appel d’offres pour une caméra à la batterie défaillante , Gérald Darmanin, à son arrivée place Beauvau en juillet 2020, a relancé un marché public, avec cette fois un cahier des charges qui faisait la part belle à l’efficacité plutôt qu’au prix. Des expérimentations sont menées.
Ce fait surprenant lui a été confirmé par le ministre de l’Intérieur lors de son audition au Sénat mercredi . Gérald Darmanin a expliqué que « les équipements des motards sont tels qu’ils ne permettent pas de mettre le harnais » portant la caméra, et n’a pas fui ses responsabilités : « Mea maxima culpa. Nous allons changer cela. J’ai donné pour consigne que d’ici la fin de l’année, tous les motards, quand ils ont leur matériel de protection, puissent porter leur caméra-piéton. » « J’ai pensé à une faute de la hiérarchie, a-t-il ajouté, ce n’était pas le cas. »
Le lièvre a été soulevé par le sénateur socialiste Patrick Kanner. Dès lundi, alors qu’il était reçu à Matignon dans la foulée du drame de Nanterre , l’élu nordiste a interpellé la Première ministre sur le fait que le motard de la police mis en cause dans la mort du jeune Nahel ne portait pas de caméra-piéton. Patrick Kanner apprend de la bouche d’Élisabeth Borne que, malgré le déploiement des boîtiers depuis juillet 2021, aucun motard n’en porte.
Un cahier des charges incomplet
« Sauf que le cahier des charges a oublié les motards… », grince Dominique Ledourner, secrétaire national Unité SGP Police et motocycliste lui-même. Oubli fâcheux. Car, depuis 2019, les agents disposent d’un blouson airbag. Et le harnais portant la caméra-piéton peut en altérer le déclenchement. « Il suffisait de nous demander notre avis ! » tempête le syndicaliste.
Dès septembre 2021, Dominique Ledourner indique avoir fait remonter l’information auprès de la direction nationale de la police nationale (DGPN). L’absence de réponse a incité des fonctionnaires des Yvelines à faire preuve de débrouillardise : ils ont usé de simples aimants, puissants, à coller sur la caméra et sur le blouson.
Selon le syndicaliste, l’ingénieux dispositif était toujours en test au Service des technologies et des systèmes d’information de la Sécurité intérieure (STSI²). Au ministère, on indique sobrement que « le travail est en cours ». Mais le drame de Nanterre aurait accéléré la décision de déployer le dispositif.
Une commande en express
La DGPN aurait commandé 600 attaches magnétiques. La Sécurité publique devrait en être dotée de trois cents. L’autre moitié étant dévolue à la Préfecture de police de Paris et aux CRS. Six cents, pour environ 1 900 policiers motocyclistes au total. La dotation pour les gendarmes ne nous était pas connue ce vendredi.
À l’heure actuelle, 52 000 boîtiers Motorola VB400 ont été distribués, dont 32 000 côté police, selon le ministère de l’Intérieur. Interrogés, les syndicats confirment l’intérêt porté par les agents pour un équipement qui, « en cas d’outrage ou de rébellion, sert de preuve », juge Arnaud Boutelier, secrétaire régional adjoint d’Alliance.
« C’est un outil de désescalade, confirme Jean-Christophe Couvy, secrétaire national d’Unité SGP Police. Et grâce à la caméra, on dispose du début et de la fin de l’intervention. Ça évite de n’avoir qu’une bribe de vidéo qui émerge sur les réseaux, sans contexte. »
Selon la doctrine d’utilisation actuelle, son port est obligatoire pour au moins un membre de la patrouille et l’enregistrement doit être déclenché lors de tout incident. Ce déclenchement est laissé à l’appréciation du policier ou à la demande de sa hiérarchie. « Gérald Darmanin a régulièrement donné comme instruction que la caméra soit mise en œuvre », insiste Beauvau.
Bientôt en temps réel ?
Depuis peu, le policier peut regarder en replay sur son « Néo » (terminal mobile sécurisé) ce que la caméra a filmé. Et bientôt, « la vidéo sera retransmise en temps réel dans les salles de commandement », promet le ministère, comme gage de transparence et d’efficacité.
Le déploiement généralisé des enregistreurs avait été annoncé par Emmanuel Macron, en décembre 2020 lors d’un entretien au média Brut, dans la foulée de l’affaire Michel Zecler, du nom de ce producteur musical passé à tabac par des policiers. « Quand quelqu’un déclenche les hostilités et qu’il sait qu’il est filmé, il ne se comporte pas pareil. Quand un policier est en permanence en train de filmer ses actions, il ne se comporte pas pareil », avait justifié le chef de l’État.
Source: La Voix du Nord