En Bretagne, ces dealers " intérimaires " payés 4 000 € par mois [Enquête]

July 09, 2023
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La scène, surréaliste, se déroule à Rennes. À deux pas d’un point de deal et de la caserne hébergeant l’état-major et des unités spécialisées de la zone de gendarmerie ouest. Sur un terrain de foot, des militaires sont en pleine partie quand plusieurs jeunes dealers, encagoulés, surgissent et les apostrophent : « Maintenant vous dégagez, parce qu’on peut plus vendre là… » Hormis les concurrents, plus rien ne semble pouvoir intimider les petites mains du trafic de stupéfiants. Il y a peu, le gérant d’un point de deal rennais s’en plaignait à son avocat : « J’en peux plus de ces petits cons qui défouraillent pour un rien ». Mauvais pour le business.

« Ils sont de plus en plus armés et désinhibés », constate une source judiciaire. Un phénomène en partie dû au recours à de petites mains venant d’autres départements. Exemple à Lorient, fin avril 2023 : sur un point de deal que vient de prendre un réseau concurrent, la police interpelle le « superviseur ». Il a 18 ans et vient d’Angers. Sur une vidéo, ce jeune originaire de Mayotte parade avec pistolets automatiques et kalachnikov. Son cas reste néanmoins une exception. Ces jeunes venus d’autres cités occupent le plus souvent les postes de base : guetteur, vendeur (charbonneur), rabatteur ou ravitailleur.

Pourquoi les trafiquants font-ils appel à ces « intérimaires » ? « Tout simplement parce qu’ils ont du mal à recruter localement », explique une source judiciaire. Parce que la police harcèle les points de vente et la Justice suit et associe aux condamnations de très dissuasives interdictions de séjour. Les ouvriers du stup’vont alors proposer leurs services ailleurs, d’abord dans les départements voisins. On aperçoit des Brestois à Lorient, des Briochins à Rennes, des Nantais à Vannes… D’autres viennent de beaucoup plus loin : « région parisienne, Roubaix, Marseille… ». « Certains dealers bougent car ils sont mis à l’amende par leur réseau, pour rembourser une dette de stups, par exemple, poursuit la même source. D’autres ont besoin de se mettre au vert, pour fuir les tensions, échapper à des représailles, voire à la police. »

Interchangeables et muets

Le phénomène est d’abord apparu à Paris, puis dans les grandes métropoles. Dans l’ouest de la France, il s’est ancré en 2021 et touche désormais des villes moyennes. « On a affaire, le plus souvent, à des mineurs en déshérence, ou de jeunes majeurs déjà installés dans le trafic », précise un policier breton.

Pour les trafiquants, l’aubaine est double : en cas d’interpellation, ces petites mains interchangeables, véritables variables d’ajustement du trafic, ne parleront pas. Elles ne connaissent personne et ignorent tout de l’organisation locale. Leur hébergement hors du quartier, dans des locations type Airbnb, ou de plus en plus souvent dans des hôtels à bas prix, permet d’éviter, en cas de perquisition, de perturber ou entraver l’activité du point de deal…

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Le Morbihan, eldorado des dealers ?

Sur certains réseaux sociaux fleurissent de véritables petites annonces. Horaires de travail, salaire et avantages en nature (jusqu’à l’hébergement et les repas offerts) y sont détaillés. Quand la paie de celui qui chouffe (fait le guet) s’élevait, en 2021, entre 50 € et 80 € en région parisienne, où la main-d’œuvre est pléthorique, celle-ci pouvait être multipliée par trois, ou davantage encore, en province. Avec des particularismes locaux. En Bretagne, le Morbihan semble être le département qui recrute le plus, probablement en raison du démantèlement de deux gros réseaux à Vannes et un autre à Lorient.

Selon nos sources, entre janvier 2021 et juin 2022, près d’un interpellé sur cinq pour vente de produits stupéfiants sur les points de deal du département ne résidait pas dans le Morbihan. Dans les autres départements bretons, ce ratio, simple indicateur, n’atteindrait qu’un sur 20 en Ille-et-Vilaine, un sur 30 en Loire-Atlantique, moins d’un sur 100 dans les Côtes-d’Armor, et encore moins dans le Finistère.

Source: Le Télégramme